Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 23.djvu/15

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les vieux souliers de ses camarades. La médecine ne s’accordant point avec ses goûts, il la quitta au bout de quatre années, durant lesquelles d’ailleurs il ne s’était guère occupé que de botanique. Ce fut définitivement à cette science qu’il s’attacha pour s’en faire un état. Après s’être préparé pendant dix années, il se révéla tout à coup au monde savant dans un livre aussi remarquable par la nouveauté du plan que par le mode d’exécution. « Depuis longtemps, a dit Cuvier, en suivant les herborisations, ou en visitant le jardin du roi, il se livrait, avec ceux qui étudiaient la botanique en même temps que lui, à des discussions sur l’imperfection de tous les systèmes de classification alors en vogue, et sur la facilité d’en créer un qui conduisît plus sûrement et plus promptement à la détermination des plantes. Voulant prouver son dire par le fait, il se mit à l’œuvre, et en six mois d’un travail sans relâche il écrivit sa Flore française. » Cet ouvrage n’était qu’un aperçu des végétaux reconnus indigènes à la France. Lamarck n’avait point eu la prétention d’y ajouter aucune nouvelle espèce, ni même d’approfondir ce qu’on savait déjà sur celles qu’il y introduisait. Mais c’était un guide commode et sûr, en ce que, prenant les conformations les plus générales pour point de départ et procédant toujours par voie dichotomique, il ne laissait chaque fois qu’à choisir entre deux caractères opposés, et n’exigeait par conséquent que l’intelligence du langage technique adopté dans les descriptions, pour conduire infailliblement à la connaissance de la plante dont on voulait savoir le nom. Quelque mécanique que soit un tel procédé, ses avantages pour ainsi dire matériels ne pouvaient manquer de le faire accueillir à une époque où, par des écrits pleins de charme, J.-J. Rousseau venait de rendre la botanique populaire. Aussi la Flore française eut-elle un rapide succès. Daubenton s’était chargé d’y exposer clairement les idées de l’auteur dans un discours préliminaire qu’on lit encore avec plaisir, et Haüy, qui savait mettre tant d’élégance et de soin dans ses moindres productions, s’était chargé d’en polir le style, car, il faut bien le dire, la plume savante de Lamarck ne fut jamais élégante ni même correcte. La Flore française sortit des presses de l’imprimerie royale par les soins de Buffon, qui saisit avec empressement cette occasion de prouver au public combien sont faciles ou indifférentes les méthodes distributives pour lesquelles il affectait un si profond dédain. Son génie d’écrivain ne pouvait s’accommoder à l’inflexible roideur d’un cadre prescrit d’avance, à l’enchaînement et à la subordination des idées. À la même époque, une place dans la section de botanique étant devenue vacante à l’Académie des sciences, Lamarck y fut promu en 1779, quoique porté au second rang seulement, après Descemet, sur la liste de présentation, faveur de cour qui, cette fois, tomba bien et ne choqua pas l’opinion publique. Dès lors la fortune sembla ne plus le dédaigner autant, et, quoiqu’elle n’ait jamais été pour lui prodigue de ses dons, qu’elle n’accorde généralement qu’à une souplesse de caractère dont la nature ne l’avait pas doté, du moins lui fut-il permis d’entrevoir un avenir moins sombre que les rudes temps d’épreuve par lesquels il venait de passer. Buffon, voulant le faire servir de mentor à son fils, qu’il se proposait de faire voyager, mais sentant qu’il ne pouvait le réduire au rôle de précepteur, lui procura une commission de botaniste du roi. Revêtu de ce titre honorable, Lamarck consacra une partie des années 1781 et 1782 à parcourir la Hollande, l’Allemagne et la Hongrie, avec son jeune élève, visitant partout les établissements publics et les savants, desquels son nom n’était déjà plus ignoré. À son retour en France, il cultiva la botanique avec plus d’ardeur que jamais, et bientôt il acquit de justes droits à la célébrité par la publication d’un travail moins généralement connu, mais plus important que sa Flore, la partie botanique de l’Encyclopédie méthodique. Tout n’est pas original dans ce grand ouvrage, et ne pouvait l’être ; mais les descriptions sont tirées des meilleurs auteurs ; le choix des figures a été fait avec beaucoup d’intelligence, et Lamarck y a semé une foule de remarques curieuses, puisées dans les magnifiques herbiers de Sonnerat, de Commerson et de Jussieu, qui furent généreusement mis à sa disposition. En lui reprochant de s’être astreint à l’ordre alphabétique et d’avoir suivi le système de Linné, on oubliait que le plan n’était pas de son choix, qu’il lui avait été imposé. Travailler sous la direction et dans les vues d’un libraire était alors son unique ressource, car la faveur de Buffon ne lui avait valu aucun établissement solide. Ce ne fut qu’en 1788 que le successeur de ce grand homme, le marquis de la Billarderie, fit créer pour lui une place de botaniste du cabinet, en le chargeant de conserver et d’arranger les herbiers. Encore fut-il au moment de perdre ce modeste emploi lorsque le décret de l’assemblée législative du 18 août 1792, qui supprimait les corporations savantes, fit craindre que le Jardin du roi ne se trouvât enveloppé dans la même proscription. Mais la Convention nationale, par un décret rendu le 10 juin de l’année suivante, reconstitua l’établissement sous le titre de Muséum d’histoire naturelle, laissant aux douze personnes qui alors occupaient des places le soin de se distribuer entre elles les douze chaires nouvelles qu’elle instituait, Ce fut encore là un moment critique pour Lamarck ; un des derniers venus de tous, il n’eut point à choisir, et dut prendre une chaire dont personne ne voulait, parce qu’on la jugeait trop peu importante, celle dans les attributions de laquelle rentrait la classe des animaux alors désignés, d’après Linné, sous les noms d’insectes et de vers. Or jusque-là il s’était peu occupé des