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animaux, et moins encore de cette vaste branche de la zoologie, à l’exception toutefois des coquilles, pour lesquelles ses liaisons avec Bruguière lui avaient inspiré un goût assez vif, et dont il avait même formé une petite collection. Mais, bien qu’il fût près d’atteindre Page de cinquante ans, son courage inépuisable ne l’abandonna pas dans cette conjoncture. Bientôt, en étudiant sans relâche des objets si nouveaux pour lui, s’aidant des conseils de quelques amis et appliquant à la zoologie cette sagacité qui l’avait déjà si bien servi dans la botanique, il parvint à démontrer que les animaux, dont par dédain on lui avait abandonné l’histoire, étaient aussi intéressants, sinon même plus, que les autres, par leur nombre immense, par le rôle qu’ils jouent dans l’univers, par les variétés infinies de leurs formes et les singularités de leur organisation. Les travaux en ce genre auxquels il se livra avec une assiduité qui ne s’est jamais démentie l’ont placé plus haut encore que ceux qu’il avait exécutés en botanique, et ils lui vaudront certainement une réputation plus durable. C’est là en effet qu’il a déployé toute l’étendue de son génie. Il s’y est élevé au rang de législateur, et, si désormais on parvient à corriger quelques parties de ses ouvrages, à les amender, à les étendre, un long temps s’écoulera encore avant qu’un autre esprit aussi profondément observateur, aussi habile scrutateur des mystères de la nature, ose entreprendre de les soumettre à une refonte générale, semblable à celle que les livres de Linné subirent entre ses mains. Mais, durant les trente ans* qui s’étaient écoulés depuis la paix de 1765, Lamarck n’avait pas consacré tous ses moments à la botanique, pour la section de laquelle on l’appela le premier de tous à l’Institut, lors de la création en 1796 ; il avait médité aussi sur les lois générales de la physique et de la chimie, sur les révolutions du globe terrestre, sur les phénomènes atmosphériques, sur les lois qui président à l’organisme et à la vie. De bonne heure aussi, il mit le public dans la confidence de ses pensées. Malheureusement elles n’étaient pas toutes, en ce genre, de nature à mériter qu’on y lit attention. Son plus grand tort, qu’on a peine à concevoir chez un homme qui avait consacré sa vie entière à l’observation, fut de vouloir, à l’instar de quelques écoles philosophiques, créer un système général de toutes pièces, et construire pour ainsi dire la nature a priori. C’est ainsi que, sans autres armes que celles du raisonnement, il ne craignit pas d’attaquer la théorie que Lavoisier venait d’établir sur l’expérience, et de provoquer en quelque sorte les nouveaux chimistes au combat. Ceux-ci eurent raison de laisser passer inaperçues des hypothèses dénuées de tout fondement empirique, et qui n’avaient même pas toujours le mérite d’être intelligibles. De même, en géologie, il créa un système qui n’a peut-être ni plus ni moins de valeur qu’aucun de ceux qu’on pourrait imaginer, mais qui cependant a un défaut incontestable : celui de ne pas s’harmoniser avec les faits mêmes, tels qu’on les connaissait alors. Ce qu’on y découvre de plus remarquable, c’est l’idée que les chaînes les plus élevées de montagnes ont appartenu autrefois à des plaines. Aujourd’hui cette opinion est celle qui réunit le plus de suffrages, mais on attribue la formation des montagnes à des soulèvements déterminés par les forces volcaniques, et Lamarck les faisait produire par des amoncellements de débris de corps organisés, animaux et végétaux, tandis que, malgré l’ancienneté bien constatée de la vie sur la terre, personne ne doute maintenant qu’elle n’en a pas toujours animé la surface, qu’elle est même postérieure à l’apparition des grandes aspérités qui hérissent cette dernière. La partie des travaux de Lamarck qu’on a plus désapprouvée, parce qu’elle fut mal jugée dès le principe, et qu’on chercha tout aussitôt à tourner en ridicule, est celle qui concerne la météorologie. En publiant ses principes et ses observations à ce sujet, dans un ouvrage périodique auquel il donna le titre d’Annuaire météorologique, il eut l’idée, pour éviter que les frais d’impression ne restassent à sa charge, d’insérer dans ce livre des probabilités qui pussent intéresser le public sans le tromper, faciliter la vente de l’ouvrage, et faire arriver aux amateurs instruits les petits mémoires météorologiques qui seuls en faisaient l’objet. Cette publication souleva des susceptibilités qui dépeignirent Lamarck à Napoléon comme un faiseur d’almanachs et de prédictions, chose effectivement inconvenante pour un membre d’un corps généralement considéré. « Je ne fus pas longtemps, a-t-il écrit, sans apprendre de la bouche même de celui qui gouvernait alors son mécontentement positif sur une entreprise qui n’avait cependant d’autre but que l’étude des météores. Chose étrange! l’auteur, en tout soumis aux lois, n’écrivant point sur la politique et ne s’occupant que d’études de la nature, se vit forcé de cesser sur-le-champ toute publication de ses observations sur l’atmosphère. Accoutumé depuis longtemps à céder ù la nécessité, il se soumit en silence et continua d’observer, mais pour lui seul. » Le passage de l’article Météorologie du Dictionnaire d’histoire naturelle de Déterville prouve que Cuvier a dissimulé une partie de la vérité en disant que Lamarck finit par renoncer à son travail stérile, dégoûté de voir les événements ne jamais répondre à ses prédictions. Quoi qu’il en soit, ce laborieux savant n’entretint plus le public que de ses travaux sur les animaux sans vertèbres, sur la physiologie générale, et particulièrement sur la grande question de l’espèce dont la solution a été constamment l’objet de ses préoccupations et de ses efforts. Lamarck nous apprend lui-même qu’il avait cru d’abord à l’existence d’espèces permanentes et invariables dans leurs caractères ; mais, dès 1801, il était venu à d’autres idées. Il