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naissance du temps, des choses, des hommes, des préjugés et des idées d’alors, respire dans tout ce qu’a fait Lamb, et donne à son œuvre des reflets de vérité locale qui captivent et produisent l’illusion. À la domination des latinistes, qui, comme politiques, venaient d’abjurer leurs anciennes idées, et rompaient avec fureur des lances en faveur du ministérialisme, était venue s’opposer une autre école, celle des Coleridge, des Keats, des Leigh Hunt, fort exaltés aussi dans le sens politique, mais constants du moins et hommes de cœur et d’honneur. Dès l’apparition de ceux-ci, Lamb, qui comprenait que leur littérature était plus près du vrai, et qui, en fait, s’était créé un genre à part, ne montrant d’attachement que pour les personnes, non pour les aphorismes esthétiques des laquistes, se déclara publiquement l’admirateur de tout ce qui, dans cette nouvelle coterie, lui semblait digne de louange, et, sans renoncer soit à ses premières amitiés, soit à ses premières convictions, il contracta des liaisons avec des poëtes plus vigoureux, avec des socialistes plus sérieux que leurs antagonistes. C’est dans cette indépendance sincère et désintéressée, c’est dans cet éclectisme de bonne foi et de bon sens qu’il se maintint jusqu’à ses derniers moments. Lamb ne se maria jamais ; il vivait patriarcalement avec sa sœur, célibataire comme lui, et comme lui faisant de la poésie et de la prose tour à tour. Lamb était quinquagénaire lorsque enfin il quitta son administration avec une pension de retraite : mais il n’en jouit que quelques années : sa mort eu lieu en 1856. Il était petit et faible, mais sa tête avait de la beauté et de l’expression : on eût dit un des types du Titien. Voici la liste des ouvrages qu’on lui doit : 1° des poésies peu nombreuses, savoir : 1. sa part des Poèmes en vers blancs (par Ch. Lamb et Ch. Lloyd), Londres, 1798, in-8° Bien qu’en général nous ne goûtions pas les vers sans rimes, c’est à tort que Byron, dans une note de sa fameuse satire, pour expliquer ces deux vers :

Whose verse of all but childish prattle void
Seems blessed harmony to Lamb and Lloyd,

caractérise les deux amis par « Lamb et Lloyd, les deux plus ignobles suivants de Southey et compagnie. » 2° Jean Woodeville, tragédie, 1801, in-8° (en vers et en prose, à la manière de Shakspeare). 5. M. Hm, farce représentée en 1806 à Drury-Lane. De tous ces morceaux (la tragédie à part) les meilleurs sont les Trois Amis et les Adieux au tabac (en vers de cinq syllabes), la Version de repentance, et quelques-uns des douze sonnets. 2° Le conte de Rosamonde Grey et la vieille aveugle Marguerite, Londres, 1798, in-8° ; 3° Récits sur Shakspeare, Londres, 1807, 2 vol. in-8°. Ces vieux récits tant sur les contemporains de Shakspeare que sur Sbakspeare lui-même ne sont pas seulement remplis de charme, ce sont des morceaux de critique achevés : ils ont fait comprendre à tous l’atmosphère que respirait Shakspeare, et fait rire à Leigh-Hunt. « Lamb eût mérité que Shakspeare lui servit un de ses drames, tout chaud sortant du four. » Ils ont été traduits en français sous le titre : le Mémorial de Shakspeare, contes shakspeariens par M. Alphonse Borghers, avec une introduction par M. Philarète Chasles, précédée d’une Vie de Shakspeare et de Lamb par M. Amédée Pichot, Paris, 1841, in-8° ; autre édition, 18-17, in-8°. 4° Aventures d’Ulysse, Londres, 1808, in-12 ; 5° des Essais ; 6° d’assez nombreux articles dans le Magazine, le New-Monthly Magazine, le Blackwood’s Magazine, la plupart sous le voile de l’anonyme ou sous le pseudonyme d’Élie ; 7° Un recueil intitulé Échantillons du poëtes anglais dramatiques, avec des notes. 1808, in-18°. Ces notes, historiques et critiques, ont, avec les récits sur Shakspeare, changé de face la critique sur les origines du théâtre anglais et fait apprécier la génération de poêles dont pouvait alors s’enorgueillir l’Angleterre. Les œuvres poétiques de Lamb ont été données par A. et W. Galignani, dans leur the Poetical Works of Rogers. Campbell. Mongomery, Lamb and Kirke White, Paris, 1829.

— De sa sœur on a : 1° l’École de miss Leicester, Londres, 1808, in-8° (ou in-12) ; 2° des poésies pour les enfants, 1809, 2 vol. in-8° ou in-12 ; 3° diverses poésies melées parmi celles du frère.


LAMB (George), quatrième et dernier fils du premier vicomte Melbourne (Péniston Lamb), naquit le 11 juillet 1784. Il fut un des plus brillants élèves d’Éton, passa ensuite au collége de la Trinité de Cambridge, où il reçut le degré de maître ès arts (1805), et où se fit remarquer son goût pour la solitude et pour les lettres. Cependant il suivit la carrière du barreau avec l’idée de devenir un jour un homme politique, et il entra dans cette vue à Lincoln’s-Inn, d’où bientôt il fut appelé à la circonscription du Nord. Mais il se dégoûta presque aussitôt des fonctions judiciaires, et la délicatesse de sa santé lui servit de prétexte pour les quitter. Son frère ainé venait de mourir, lui laissant et sa belle bibliothèque et un legs. Il consacra d’abord ses loisirs à des études de son choix. Pendant un temps on le vit se livrer à la petite littérature de théâtre et de journaux. Il s’avisa de donner à Covent-Garden une farce intitulée Sifflez (Whistle for it) : il l’avait donnée jadis au prieuré de Banmore, devant ses amis et convives, et on l’avait fort applaudie ; mais à Covent-Garden le public siffla outrageusement. George Lamb n’en eut pas moins de succès à la Revu d’Edimbourg, où il fut en quelque sorte le lieutenant du caustique Jeffrey, et où se lisent de lui quelques articles, entre autres l’analyse des Misères de Beresfort. Cependant le nom de Lamb le portait naturellement du côté des affaires publiques. Il vint siéger au parlement, en 1818,