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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 23.djvu/31

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sans autres liaisons ; il faut même dire à sa louange qu’il ne cherchait point à l’afficher. C’est elle qui triomphait trop publiquement et qui prenait plaisir à triompher de rivales vraies et supposées. C’est elle qui, par des imprudences, des éclats et finalement par des scènes en plein salon, d’abord mettait le public sur la voie, puis dans la confidence. De fort bonne heure le mari avait tout su : surpris à peu près, l’auteur du Giaour et de Manfred, malgré sa féconde imagination, n’avait trouvé de moyen autre pour colorer sa présence que de se faire passer pour un voleur, et de sortir rapidement, un petit poignard de dame à la main et l’écrin de milady sous son manteau ; pure comédie d’autant moins apte à donner le change à milord que Byron, dans sa brusque évasion, avait laissé tomber une lettre à son adresse. Bulwer, dans sa Vie de Byron, auquel on sait qu’il est assez hostile, assure que l’illustre poete avait tenté de décider sa maîtresse à fuir avec lui pour quelque lointaine contrée, et que celle-ci, malgré sa passion, eut l’honneur de se refuser à ce vœu. Tout ce que prouve l’anecdote de Bulwer, c’est qu’effectivement il fut question entre Caroline et Byron de fuite publique, éclatante ; mais que la proposition soit venue du poëte, nous avons peine à le croire[1]. Quelque volupté qu’éprouvât Byron à être compris et admiré par une intelligence de femme, il flnit par s’ennuyer de s’entendre appeler le sublime, et toujours par la même bouche. Enfin il cessa complétement de voir sa maîtresse. Un matin cependant elle s’introduisit encore chez lui, dit une note de Medwin ; et furieuse, peut-être de ne le point trouver, tombant sur un volume de Vathek, un des livres que Byron avait le plus goûtés dans son enfance (voy. la note de Child-Harold, ch. 1, stance 22) et que sans doute ils avaient plus d’une fois savouré ensemble, elle écrivit sur la page blanche Remember me (ressouviens-toi de moi) ! De retour, Byron trouva le livre ouvert sur la table ; et c’est alors qu’à ce cartel de femme il répondit par ces huit vers[2], ou, parmi tant d’autres mots, suit cette ligne écrasante : « Et ton époux aussi se souviendra ! » Puis il déchira le feuillet et l’envoya sous un pli à sa persécutrice. Ils ne se réconcilièrent jamais, et quelques mois après eut lieu le mariage de Byron, suivi bientôt des plus tristes tiédeurs du ménage, et du second et dernier adieu de poete à sa patrie. Lady Caroline eût peut-être tout pardonné alors, s’il l’eût mise de moitié dans ce second pèlerinage de Childe Harold. Mais jamais Byron n’en avait été plus loin. Le ressentiment profond qu’elle nourrissait dans son cœur s’exhala bientôt, et le roman de Glemu-von (1816) vint attester qu’elle entendait blesser de ses traits, blesser de ses mains celui dont elle avait à se plaindre. Vain cri de détresse et de colère, et qui ne servait qu’à prouver son dépit et son désir de faire du mal aux auteurs de ses maux ; car Byron n’était pas seul l’objet de sa haine. Mais plus le cri de l’abandonnée accusait de désespoir et de fureur, plus l’impitoyable orgueil de Byron eût pu se sentir flatté, bien que son irritabilité en ait été longtemps froissée (1), plus sa célébrité funeste croissait ! Et le monde, le grand, le haut monde, tout en dévorant Glenn :-von, tout en déversant l’anathème sur l’original du portrait, était sans merci pour le peintre. On pardonna peut-être encore moins à lady Caroline l’éclat de son talent que les plaisirs de sa faute. On ne s’était point complétement retiré d’elle avant Glenarvon.- soit qu’on pressentit qu’elle se rendrait redoutable, soit que l’on trouvât que pour une noble dame écrire c’était descendre, on sembla s’apercevoir pour la première fois, en lisant ces confessions, cette apologie, ce mémoire, comme on voudra l’appeler, qu’elle avait fait scandale ; il fut comme convenu de l’évincer tacitement du monde. Naguère l’élite de la Grande-Bretagne affluait chez elle ; quelques amitiés seulement lui resterent (les llobhouse, les Wellington, les Ugo Foscolo, noms surpris de se rencontrer), et une femme, madame de Staël. dont les lettres vinrent adoucir ses amertumes. À partir de cet instant, la plus grande partie de sa vie s’écoula dans sa belle terre de Broclret-Hall. Aux cœurs blessés l’ombre et le silence. Elle y recevait ses fidèles, et de loin en loin quelques illustrations du continent, bien qu’elle n’aimat plus à se donner en spectacle ; mais elle avait chance de recevoir ainsi des nouvelles directes de l’absent et de voir ceux qui l’avaient vu. Singulier intervertsement des destinées humaines, le poëte anglais à Venise, le poete de Venise en Angleterre ! Foscolo était de tous le plus assidu à Brocket-Hall. Il n’y donna du moins que de bons conseils. C’est sur ses avis, en harmonie du reste avec ses propres penchants, que, résolue à ne plus froisser personne, Caroline composa son deuxième roman, Gmluun Hamilton, qu’on lut encore avec avidité, mais qui pourtant eut moins de retentissement que le premier, peut-être parce qu’il n’irritait point. Ensuite vint (1) Non-seulement Byron revenait fréquemment, dans la conversation, sur les calomnies de Gtenaruon, mais dans son Don Juan même (chant 2, stsnce ml), tl a voulu lancer un trait contre sa vtudiesttve ennemie.

  1. Bulwer dit aussi, toujours à propos de lady Lamb, que beaucoup des lettres d’amour de Byron étaient des copies textuelles des Liaison dangereuses. Nous aimerions beaucoup à volr de ces autographes. Byron copier Laclos autrement qu’en passant, comme plaisanterie, ou par quelque autre hasard !
  2. Remember thee! remember thee!
    Till Lethe quench life's burning stream,
    Remorse and shame shall kling to thee
    And haunt thee, like a feverish dream.
    Remember thee! but, doubt it not
    Thy husband too shall think of thee :
    By neither shalt thou be forgot
    Thou false to him, thou fiend to me!

    Se souvenir de toi ! de toi!
    tant que le Léthé n’aura pas éteint
    Pardent torrent de ta vie,
    le remords et la honte tinteront autour de toi
    et te poursuivront comme un rêve dans la fièvre.
    Se souvenir de toi! ah! n’en doute pas,
    ton époux n’y songera que trop!
    ni lui, ni moi ne t’oublierons,
    lui pour qui tu fus perfide,
    moi dont tu es la furie ! ’