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qu’en fournissent les Acharniotes ; et il est peu vraisemblable qu’il ne soit devenu cavalier qu’en arrivant aux premiers grades. Quoi qu’il en puisse être, les nombreuses hostilités qui, dès la fin de la lutte médique, mirent les Ioniens et les Doriens aux prises sur tant de points, et qui, élevant de jour en jour la puissance arménienne, préludèrent à la guerre du Péloponnèse, offrirent souvent à Lamaque l’occasion de signaler son intrépidité, de mériter et d’obtenir de l’avancement, de rendre son nom populaire. Nous ne saurions suivre exactement ses pas dans cette carrière. Mais, en 441 au plus tard, sous l’administration de Périclès, avant la révolte et la réduction de Samos, nous le trouvons chargé de rendre la liberté à la colonie silésienne de Sinope, que gouvernait le tyran Timésiléon, c’est-à-dire d’intervenir, au nom du parti républicain de Sinope, contre le parti de la monarchie, et de frayer ainsi la voie au protectorat, à la domination d’Athènes sur cette opulente et puissante cité, une des positions les plus précieuses sur le Pont-Euxin. Lamaque réussit à merveille : non-seulement l’usurpateur fut renversé, mais ses partisans, les uns réduits à fuir, les autres exterminés ou dépouillés, laissèrent assez de terres vacantes pour que sept cents colons d’Athènes fussent dirigés sur la côte paphlagonienne pour s’y établir, et que la colonie silésienne devint arménienne. Quand la guerre du Péloponnèse éclata, Lamaque trouva moyen de se faire confier au moins une de ces missions que nombre des petites puissances en Grèce et la nécessité de se coaliser pour le moindre déploiement de forces faisaient revenir fréquemment. Les députés avaient deux ou trois drachmes par jour, souvent ils étaient défrayés en partie sur la route. Il y a bien loin de là aux appointements des modernes ambassadeurs extraordinaires, mais au fond le principe était le même. Aristophane reproche à Lamaque d’avoir trouvé ces députations et surtout les allocations plus de son goût que les camps. Un an et quelques mois s’étaient écoulés depuis cette mission, quand Lamaque eut ordre d’aller lever le tribut que devaient ou ne devaient pas les villes alliées sur la cote de l’Euxin et notamment de réduire à l’alliance (c’est-à-dire à la soumission que déguisait le nom d’alliance)[1] la ville d’Héraclée, en liaison alors avec le Grand-Roi. Lamaque s’était déjà familiarisé avec les parages où il était envoyé par l’expédition de Sinope. Son escadre était de dix vaisseaux. On ne saurait dire s’il alla plus loin qu’Héraclée, et conséquemment s’il remplit toute la mission que nous lui supposons. Mais un grand désastre l’assaillit dans cette ville. Un ouragan épouvantable grossit subitement la petite rivière de Calex, dont l’embouchure formait le port d’Héraclée, et imprima de telles secousses aux vagues que les vaisseaux de Lamaque chassèrent sur leurs ancres, et, se heurtant les uns contre les autres, furent fracassés et mis en pièces. Lamaque et tout son corps d’armée, contraints de se réfugier sur la côte, devinrent, dit-on, prisonniers des Héracléotes, qui toutefois les laissèrent reprendre par terre la route du Bosphore. Mieux vaut dire, ce nous semble, que presque cernés par les Héracléotes, mais déterminés à se bien défendre, Lamaque et ses hommes obtinrent ou subirent une capitulation, dont les deux articles furent l’évacuation de la rive de l’Euxin par les Athéniens, mais liberté de faire en paix leur retraite. Ils eurent des guides, c’est-à-dire que les Héracléotes voulurent être sûrs par eux-mêmes de leur éloignement. Ils traversèrent ainsi, accompagnés et surveillés, le pays montueux des Thraces Bithyniens, non sans crainte d’être harcelés par ces farouches indigènes, et atteignirent la ville de Chalcédoine. Cette catastrophe, où rien n’indique que Lamaque ait eu des reproches à se faire, ne l’empêcha sans doute pas d’être employé les six ou sept années suivantes ; et il faut que sa réputation n’ait fait que s’accroître, puisque[2], lorsque la seconde expédition de Sicile fut décrétée, lui qui n’avait pas le moyen d’acheter des suffrages et pour qui l’on ne peut supposer que, soit Alcibiade, soit Nicias, les ait achetés, il devint leur collègue comme général en chef[3]. Un tel commandement dut porter au comble son orgueil militaire, d’autant plus qu’ordinairement on confiait les grandes armées à dix généraux, parfait moyen pour faire la guerre au grand profit et à la joie de l’ennemi. On sait combien Nicias trou-

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  1. Il est désormais acquis à l’histoire qu’Athènes, Sparte, Thèbes, etc., dans leurs efforts pour former un grand État, suivaient la même méthode que Rome (bien qu’avec moins d’art et de vertus que Rome) et commençaient l'assujettissement par un protectorat nommé alliance. Les alliés du Péloponnèse sont l’empire de Sparte ; les alliés d’Athènes, c’est-à-dire toutes les petites puissances insulaires ou coloniales qui lui payaient tribut et lui donnaient des vaisseaux, voilà l’empire d’Athènes. Et la politique de Persepolis à partir de ce temps, c’est de relâcher le protectorat, en d’autres termes, c’est de faire sortir les alliés de lalliance . En sortir était en quelque sorte se révolter. Les révoltes des Latins contre Rome ne furent jamais autre chose. Le traité d’Antalcidas brisait ainsi les alliances inégales : Flaminius en 197 aux jeux Isthmiques les brisa de même mais avec des moyens autrement puissants, pour mettre en voie d’exécution le décret.
  2. Naguère avait eu lieu une intervention d’Athènes en Sicile, en faveur et à la requête de Leontium et d’Egeste contre Syracuse et Sélinonte, 427 avant J.-C. ; mais elle n’avait duré que onze ans et avait amené les deux ligues belligérantes à une paix qui, en réalité, laissait Egeste et Leontium à peu près ouverte aux intrigues et à la domination de Syracuse, laquelle tendait à devenir la capitale et le centre d’un royaume de Sicile. De là, sur Egeste et sur Leontium, des mesures que l’on qualifia d’oppressives et qui firent invoquer derechef contre la prépondérance syracusaine une intervention d’Athènes.
  3. Voy. Thucydide, 6, 8-26 ; Plutarque, Vie de Nicias, 17, et Vie d’Alcibiade, 21. — Dans une première assemblée le peuple d’Athènes élut les trois généraux. Nicias était le premier, Lamaque le troisième. Dans une seconde assemblée (cinq jours aprés), on délibera sur les voies et moyens ; et, après deux longs discours de Nicias, l’un sur l’inopportunité, sur les difficultés de la guerre, l’autre sur l’immensité des préparatifs nécessaires, on décerna des pleins pouvoirs aux généraux, et, sur la motion de Démostrante, on vota tout ce que Nicias regardait comme indispensable, sans s’arrêter à la dépense. Il fut ensuite délibéré, au sénat, sur ce qu’on ferait après la victoire : et, ne fût-ce que par cette délibération, il est clair que, si le décret de guerre voté au Pnyx ne parlait que des secours à donner aux Egestains et du rétablissement des Léontins, en réalité on voulait la conquête de la Sicile.