Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 28.djvu/214

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pas délivrer parce que la plus grande partie des ouvrages qui les méritaient le mieux, tels que les poèmes de Delille et le Printemps d’un proscrit, étaient empreints d’un esprit contre-révolutionnaire. En collaboration avec Alphonse de Beauchamp, Giraud, son frère et quelques autres, Michaud publia en 1806 une Biographie moderne, ou Dictionnaire des hommes qui se sont fait un nom en Europe depuis 1789, qu’on peut regarder comme la première de ces biographies des contemporains qui se sont tant multipliées depuis sous des titres et des masques divers. Cette édition, portant la rubrique de Leipsick, mais qui sortait réellement des presses de Giguet et Michaud, fut promptement répandue à bon nombre d’exemplaires ; mais la police eut encore le temps d’en saisir une assez grande quantité. Michaud passa ensuite plusieurs années à peu près sans rien faire qui pût accroître son renom ou qu’on pût regarder comme véritablement littéraire, car nous ne saurions donner ce titre aux notes qu’il rédigea soit pour la traduction des Bucoliques par M. de Langeac, soit pour les six derniers livres de l’Enéide traduite par Delille, notes dont le docte commentaire de La Cerda et la riche mémoire du traducteur lui fournissaient en grande partie les éléments, et où il n’y a guère de personnel à Michaud qu’une admiration vive et très vraie pour le poète latin. Nous n’osons pas citer comme un grand titre à sa louange le Tableau historique des trois premières croisades, qu’il plaça comme introduction en tête du tome 1er de Mathilde. Nous nous bornerons à dire que le style de Michaud a de l’élégance, du nombre, de la pureté, de l’harmonie. ; que celui de madame Cottin, au contraire, manque ordinairement de ces qualités ; que sa diction est le plus souvent lâche, âpre, verbeuse, inélégante et lourde ; que sa phrase ne coule pas ; qu’elle manque, autant que tous les romanciers français du temps, de couleur locale ; qu’elle peint à faux ou gauchement, et toujours sous la préoccupation d’idées plus ou moins modernes, les mœurs des vieilles époques ; et tandis que ses idées sont plus jeunes de trois ou quatre siècles que celui qu’il s’agit de décrire, ses formes sont surannées ; et, qu’on le note bien, nulle part ces défauts ne sont plus saillants que dans Mathilde ! Eh bien, en dépit de toutes ses fautes graves, madame Cottin mérite un haut rang parmi les grands artistes, parce qu’elle sait développer avec une magnifique vérité les passions humaines, depuis le moment où elles commencent à poindre, inaperçues et faciles encore à comprimer, jusqu’à celui où, grandissant comme irrésistiblement par degrés, elles s’emparent de toute l’existence ; parce qu’à mesure qu’elles envahissent le cœur pétri par elles, elle leur prête un langage plus plein, plus vrai, plus accentué, plus énergique ; parce qu’alors dans son récit, dans son dialogue, elle s’efface complètement et

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s’élève sans le chercher à l’éloquence, au pathétique les plus sublimes. Ni ces qualités ni des qualités équivalentes ne se rencontrent dans l’esquisse de Michaud, composée trop rapidement et sans qu’il pensât au grand ouvrage dont elle était le germe. C’est en entendant vanter ce morceau, c’est en relisant les tableaux tracés par l’auteur de Mathilde qu’il conçut l’idée de se faire l’historien des croisades. C’était un beau et riche sujet, et qu’on pouvait regarder comme absolument neuf à cette époque. Il lui suffit de s’annoncer comme ayant dessein de le traitera fond, pour qu’il se fît d’avance une réputation d’historien et dès ce moment il acquit plus de consistance littéraire, ses prétentions à l’Académie française semblèrent plus rationnelles. Toutefois avant d’atteindre à l’immortel fauteuil, il eut le temps d’achever son premier volume qui parut en 1811, et d’en mettre sous presse un second en 1813, lequel, du resté, fut accueilli favorablement comme son aîné. Mais ce ne fut pas tout : il fallut encore, pour obtenir en quelque sorte son laissez-passer de l’empereur, qu’il consentît à célébrer, ainsi que tant d’autres, ce que l’on nommait la quatrième dynastie française. Reprenant le cadre un peu, usé des prophéties, il imagina en 1810, lors du mariage de Napoléon avec Marie-Louise, de faire prédire cette union par Virgile dans son Fragment d’un treizième livre de l’Enéide ; puis, quand la naissance d’un fils sembla rendre inébranlable le trône de celui qui se prétendait le successeur de Charlemagne, il salua cet événement par des Stances sur la naissance du roi de Rome (1811). Cette espèce de palinodie, que plus tard les ennemis de Michaud exploitèrent avec beaucoup de fracas, ne fut-elle qu’une simple concession au désir qu’il avait de prendre place à l’Institut et à la nécessité où tout homme de lettres un peu célèbre était alors de brûler son grain d’encens aux pieds du dieu ? ou bien commençait-il à désespérer de la cause des Bourbons et pensait-il sérieusement à se rapprocher des nouveaux hôtes des Tuileries ? Nous inclinons pour la première hypothèse ; d’une part, Fontanes, par ordre de Napoléon, avait plus d’une fois fait des offres à Michaud qui, les déclina toujours ; et même on lui prête à cette occasion une repartie fort spirituelle (1)[1]. Quoi qu’il en puisse être, après plusieurs candidatures moins heureuses et surtout appuyé par Etienne, qui jouissait du plus grand crédit auprès du gouvernement impérial, il parvint à remplacer, le 5 août 1813, Cailhava de l’Estendoux. Il venait de fonder, conjointement avec son frère, la Biographie universelle, dont en quelques années le renom devait être

  1. (1) Fontanes, le pressant un jour de se rallier, lui disait : <poem> « Il faut qu’enfin toutes les résistances finissent ; elles diminuent « tous les jours. Faites comme les autres. Tenez, M. Delille, par « exemple, vient d’accepter une pension de six mille francs. » - « Oh ! pour celui-là, répondit Michaud, il a si grand’peur, que « vous lui feriez accepter cent mille francs de rente. »