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BAR

Le lendemain, une troupe nombreuse de soldats conduisit à pied Barère, ainsi que Collot et Billaud, des Tuileries à la barrière de Montrouge. Pendant ce trajet, la foule menaçante les accablait d’outrages. À la barrière, on les fit monter en voiture ; a Orléans, leur vie fut sérieusement menacée ; enfin ils furent déposés dans le château de l’île d’oléron, Cependant le décret de leur déportation ne s’exécutait pas, et, le 21 mai, Rouyer demanda contre eux la peine de mort ; et en effet deux jours aprés, Barère fut traduit avec Vadier, Billaud et Collot, au tribunal criminel du département de la Charente-Inférieure ; mais ces deux derniers avaient été embarqués pour Cayenne, et Barère était demeuré à Oléron, le bâtiment qui devait l’emmener n’étant pas encore prêt ; sur quoi Boursault observa que "Barere, pour la première fois, avait oublié de suivre le vent". Quelques jours aprés, il fut transféré à pied de Marennes dans les prisons de Saintes, au milieu des huées et des malédictions. À Saintes, on lui témoigna toute l’horreur qu’il inspirait ; chaque nuit on chantait sous ses fenêtres le menaçant Reveil du peuple. C’est alors qu’il écrivit à ses commettants un compte rendu demeuré manuscrit. Le triomphe du 15 vendémiaire sur les réacteurs thermidoriens ne fut pas favorable à Barère. Le 17 septembre 1705, Fréron demanda qu’il fût jugé ou déporté dans le plus bref délai, afin, dit-il, qu’il emporte à Madagascar le secret de tailler des carmagnoles. Un mois aprés, on rétablit contre Barère le décret primitif de déportation. Après huit mois de captivité, il s’évada des prisons de Saintes, resta d’abord quinze jours caché dans les landes de Bordeaux, puis trouva dans cette ville, pendant cinq ans, un asile où il composa deux ouvrages qui furent imprimés : 1° de la Pensée du gouvernement, 1796, in-8o ; 2° Montesquieu peint par ses ouvrages, 1796, in-8o. Ces deux écrits appelerent de nouveau sur lui l’attention publique ; mais ce fut vainement que, dans le conseil des cinq-cents, Lamarque demanda qu’il fut compris dans les dispositions d’amnistie de la loi du 5 brumaire. Barère avait toujours à Tarbes un grand parti, car il avait su préserver son département des mesures révolutionnaires, protégeant tous les individus sans acception de parti ; il fut donc élu député au corps législatif par les Hautes-Pyrénées. Son élection fut annulée, et, plus tard, une commission fut chargée de présenter des mesures pour l’exécution du décret de sa déportation. Mais les amis qu’avait conservé Barère dans les comités voulurent bien ignorer sa retraite, et le décret ne fut pas encore exécuté. Le 18 fructidor ne changea rien à sa situation, car les vainqueurs étaient ces mêmes thermidoriens dont le triomphe avait été le signal de sa prescription. Barère retourna donc à ses études, et publia la Liberté des mers, ou le gouvernement anglais dévoilé, datée de ma retraite, le 1er ventôse de l’an 6 de la république, Paris, 1796, 3 vol. in-8o, et 1798, 1 vol. in-4o. En composant cet ouvrage, qui n’est que la substance de ses nombreux rapports à la convention nationale sur la politique anglaise, il avait l’intention de plaire au directoire, mais au lieu de désarmer les ressentiments, la Liberté des mers donna lieu à de nouvelles poursuites contre lui ; des ordres furent donnés pour son arrestation à Bordeaux. Plus tard, dans le conseil des cinq-cents, Tarteyron, en déclarant qu’il lui devait la vie, appuya la résolution d’amnistie en sa faveur. Baudin des Ardennes, en exprimant le vœu qu’il vécût en paix, mais oublié, l’accusait de la mort du ministre Lebrun (Tondu). "Si Barère, ajoutait-il, n’avait jamais eu d’autre tort que celui de l’inconvenance : s’il s’était borné à mettre nos victoires en épigrammes, on aurait pu l’assimiler au marquis de Mascarille ; mais un cliquetis d’esprit, mais des antithèses, des calembours sur des échafauds ! Ah ! il n’y a plus de morale publique si de pareilles choses peuvent être tolérées." Barére quitta donc Bordeaux, et vint se réfugier à St-Ouen, aux environs de Paris, où il demeura caché jusqu’au 18 brumaire. Il adressa alors à Bonaparte un exemplaire de son livre sur la Liberté des mers, et huit jours aprés il fut compris dans une amnistie. Il s’empressa d’aller remercier le premier consul, qui l’invita à réfuter un discours du ministre anglais, lord Granville[1], et un pamphlet de sir Francis d’Yvernois[2], dirigés l’un et l’autre contre le nouveau gouvernement. Au mois de janvier 1800 (nivóse an 4), Barère fut cité comme témoin dans le procès d’Aréna, Ceracchi et Demerveille. Ce dernier lui ayant rendu des services essentiels, avait fondé sur sa déposition des espérances qui furent déçues. Barère était attaché à la police, et son ancien collègue Fouché ne cessait d’employer sa plume. Enfin, aprés la rupture du traité d’Amiens, Bonaparte lui donna a rédiger le Mémorial anti-britannique. Le seul nom de Barère fut un obstacle au succès de cette feuille. Les communications que le premier consul entretint avec lui, par l’intermédiaire de Bourrienne et de Duroc, furent toujoins empreintes d’hésitation et de réserve. Cependant quelques travaux lui furent encore demandés sur la législation, sur la marine, sur l’organisation des pouvoirs administratifs. Enfin, le premier consul le chargea de faire un rapport chaque semaine, soit sur l’opinion publique, soit sur la marche, du gouvernement, Barère s’acquitta de cette tache avec zèle jusqu’à la fin de 1807, que Duroc lui écrivit que "les occupations de Sa Majesté ne lui permettaient plus de lire ses rapports. Déjà Barère, que les électeurs du département des Hautes-Pyrénées avaient porté candidat au sénat conservateur en 1805, puis au corps législatif, s’était vu deux fois repoussé par ce sénat tout dévoué au pouvoir impérial. Il passa alors rapidement d’une admiration excessive pour Bonaparte à des jugements sévères, même haineux et injustes, dont ses papiers sont remplis[3]. Du reste, il s’abstenait soigneusement de toute manifestation

  1. Lettre d’un citoyen français en réponse à lord Granville Paris an 8 (1800), in-8.
  2. Réponse d’un républicain français au libelle de sir Francis d’Yvernois, naturaliste anglais, contre le premier consul de la république français, Paris an 9 (1801), in-8o.
  3. Notice sur Barère, par M. Carnot.