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(voy. Elstob et Other). Une édition nouvelle, due aux soins de M. B. Thorpe, est accompagnée d’une traduction anglaise littérale et d’un glossaire anglo-saxon : elle a paru à Londres en 1853, in-8o. Orose, peu instruit dans la littérature grecque, manquait absolument de critique, et son ouvrage ne doit être consulté qu’avec défiance, parce qu’il renferme une foule de faits qui n’ont d’autre fondement que des traditions populaires. Dav. Moller a publié une dissertation, De Orosio, Altdorf, 1689, qui n’est point exempte d’erreurs. Fabricius en a relevé quelques-unes dans l’ouvrage déjà cité. On peut consulter aussi l’Histoire des auteurs ecclésiastiques, par dom Ceillier, et les dissertations de MM. H. Beck, De Orosii fontibus et auctoritate, Gotha, 1834, in-8o, et E. Crubitz, Emendatíones Orosianæ, Numburg., 1835.


ORPHÉE, poëte célèbre, et l’un des plus anciens sages dont le nom soit parvenu jusqu’à nous, n’est aux yeux de la plupart des lecteurs qu’un personnage allégorique et un être imaginaire. Cette opinion prend sa source dans un passage d’Aristote[1], qui serait décisif en effet, si la dénégation d’un grand homme pouvait l’emporter sur une tradition établie depuis plus de huit siècles, et sur une foule de témoignages incontestables. Il a existé plusieurs Orphée : Suidas en compte jusqu’à cinq, dont il rapporte différentes particularités ; et il est assez présumable qu’on a mis sur le compte du plus célèbre ce qui appartenait aux autres. Le peu de détails qu’on a sur la vie d’Orphée a dû s’altérer nécessairement en passant de bouche en bouche ; et les poètes, en prêtant un nouveau charme aux croyances populaires, n’ont pas contribué à les éclaircir. Cependant il est assez facile de démêler dans leurs récits ce qui appartient à l’histoire de ce qui doit être relégué dans le domaine de la fiction. Orphée était né dans la Thrace, près d’un siècle avant le siége de Troie ; cinq ou six villes ou peuplades se disputent l’honneur de lui avoir donné le jour : il eut pour père Œagre, l’un des rois ou chefs du pays ; et comme le nom de sa mère n’était point connu des Grecs, ils ont supposé que c’était Calliope, la muse de l’harmonie. Le poète Linus lui apprit à jouer de la cythare ou de la lyre[2] ; mais il surpassa bientôt son maître. Les merveilles qu’on raconte du talent d’Orphée ne sont que l’image allégorique du pouvoir de la musique et de la poésie sur les hommes. Il faisait partie de l’expédition si fameuse des Argonautes ; et il charma par ses chants l’ennui des navigateurs. Il visita aussi l’Égypte, s’y fit initier aux mystères sacrés, et, par ses entretiens avec les prêtres, chargés seuls alors du dépôt des sciences, il acquit des connaissances dont il fit part aux Thraces, en s’accommodant toutefois à leurs préjugés. Il sut persuader à ses compatriotes qu’il avait découvert le secret d’expier les crimes, de guérir les malades, d’apaiser les dieux irrités ; et il se rendit par là très-recommandable. À l’imitation des mystères d’Isis et d’Osiris, il institua ceux de Bacchus et de Cérès Éleusine, qui, de son nom, furent appelés Orphiques. Les initiés se réunissaient sur de hautes montagnes et dans des forêts, où tous les peuples de l’antiquité ont placé leurs sanctuaires. C’est là qu’Orphée, la lyre à la main, leur répétait ses leçons, qui étaient recueillies avec un respect religieux, et qui, par le charme inconnu des vers, se gravaient pour jamais dans la mémoire de ses auditeurs. À l’exemple des autres sages du paganisme, il laissait au vulgaire le culte des êtres sensibles, et leur permettait de diviniser les objets de leur crainte et de leur affection ; mais il révélait à ses disciples le dogme d’un Dieu créateur, qui conserve l’univers après l’avoir tiré du néant ; et en leur dévoilant les secrets d’une vie future, il effrayait le vice par les peines du Tartare, et il consolait la vertu par l’espoir d’une récompense proportionnée à leurs efforts. Il leur apprit à détester le meurtre, crime si commun chez des peuples presque barbares, et il les détourna de se nourrir de la chair des animaux : c’est ainsi qu’il parvint à polir leurs mœurs ; et telle est l’origine de la fable d’Orphée, apprivoisant les tigres et les lions les plus féroces. Orphée était depuis peu l’époux d’Eurydice, qu’il aimait avec tendresse. Cette belle, en jouant avec ses compagnes, fut mordue au talon par un serpent caché sous les fleurs. (Ce trait a été le sujet d’un des paysages les plus poétiques et les plus pittoresques du Poussin.) En vain Orphée employa le suc bienfaisant des plantes pour détruire l’effet du poison : Eurydice mourut ; et son époux inconsolable la suivit, dit-on, aux enfers, et tenta d’adoucir par ses chants l’inflexible Pluton. C’est le sujet d’un épisode du 4e livre des Géorgiques, dans lequel Virgile s’est surpassé lui-même, et que savent par cœur tous les amateurs de la poésie antique. Plusieurs savants ont cherché ce qui avait pu donner lieu au bruit de la descente d’Orphée aux enfers. On a supposé qu’après la mort de son épouse il s’était rendu dans un lieu de la Thesprotie, nommé Aornos, où existait un oracle fameux par le pouvoir qu’on lui supposait d’évoquer les morts ; qu’Orphée y revit, en effet, sa chère Eurydice, et se flatta qu’elle le suivrait ; mais qu’il se retourna, et que l’ombre s’évanouit à l’instant[3]. D’autres pensent qu’il se tint caché quelque temps pour dérober à tous les

  1. Ce passage ne se trouve que dans les ouvrages d’Aristote que nous avons conservés, mais il est rapporté par Cicéron dans son traité de la Nature des dieux, liv. 1er, ¢hap. 38.
  2. Ces deux instruments n’étaient pas semblables, quoiqu’on les confonde ordinairement. Voy. les Mémoires de Burette sur l’harmonie des Anciens, dans le Recueil de l’Académie des inscriptions, t. 4, p. 125.
  3. Voy. le Dialogue sur la musique, traduit de Plutarque, par Burette, Recueil de l’académie, t. 10, note 84, et dans les éditions modernes du Plutarque d’Amyot.