Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 33.djvu/684

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

port de Pline, que les statues de Polyclète étaient carrées et qu’elles se ressemblaient presque toutes : Quadrata tamen ea esse tradidit Varro, et pene ad unum exemplum. Quintilien, en reconnaissant que beaucoup de personnes lui assignaient la première place entre les sculpteurs les plus habiles, cui a plerisque tribuitur palma, ajoute qu’il ne s’était point cependant élevé à toute la majesté des dieux, et que son ciseau timide n’avait osé rendre que les formes gracieuses de la jeunesse : Nihil ausus ultra leves genas. Si le mot de statues carrées ne doit pas être pris en bonne part dans le sens où l’entendait Simonide, lorsqu’il disait qu’un homme était carré du corps et de l’esprit, pour faire entendre que c’était un homme en tous points accompli, il ne peut signifier autre chose, sinon que dans les figures de Polyclète les dessous étaient rendus avec une fermeté qui laissait encore désirer quelque chose quant à la délicatesse des formes. Tel est, en effet, le caractère de la sculpture de cette époque, où l’art posa les fondements du grand, sans parvenir au dernier degré du fini et du mœlleux. C’est ce que nous voyons dans les ouvrages de Phidias, de Myron, de Naucydès, dont nous possédons soit les originaux, soit des copies. Le mot de Varron, pris dans ce sens, n’est au fond qu’un éloge, et il ne saurait être pris autrement. D’ailleurs Polyclète, dont toute l’antiquité vante particulièrement l’élégance, ne pouvait être inférieur à cet égard à aucun de ses prédécesseurs ou de ses émules. Cicéron, en comparant entre eux Calamis, Myron et Polyclète, qui vécurent ensemble sans être parfaitement du même âge, nous dit bien expressément que dans la souplesse du style, Myron surpassa Calmis, et que Polyclète surpassa Myron : Calamidis dura illa quidem : nondum Myronis satis ad veritatem adducta, jam tamen quae non dubites pulchra dicere Pulchriora etiam Polycleti et jam plane perfecta. Quant au reproche de Quintilien que Polyclète n’avait point atteint à toute la majesté des dieux, et, qu’il ne s’était point élevé au-dessus des formes de la jeunesse, nous voyons, en effet, que ce maitre n’a jamais représenté ni Jupiter ni Minerve. sujets que Quintilien avait sans doute en vue dans son observation. Est-ce la faute des circonstances ? Est-ce l’effet d’une disposition particulière de son esprit ? Est-ce la crainte de ne pas surpasser Phidias dans cette sculpture sublime ? C’est ce qu’il est impossible de décider ; mais il n’était pas nécessaire que Polyclète exécutât un second Jupiter Olympien pour que l’art fit sous sa main de nouveaux progrès, et c’est ce qui eut lieu en effet. Sans renoncer aux formes de la jeunesse, il varia les attitudes, les caractères, les expressions et l’âge même de ces figures, comme s’il eût voulu offrir aux artistes des modèles de tous les genres. Ses joueurs aux osselets étaient des enfants ; son Diadumène était un athlète souple et vigoureux, molliter juvenem ;

POL 679

son Doryphore, un guerrier rebute, viriliter puerum ; son Alexandre, un héros dans une attitude énergique, arma summentem ; son Mercure, le plus agile de tous les coureurs. Cicéron enfin, lorsqu’il veut enseigner à un jeune orateur à traiter les détails accessoires d’une grande cause avec noblesse et avec simplicité, simpliciter et splendide, l’invite à prendre pour modèle Polyclète modelant la figure d’Hercule qui terrasse l’hydre de Lerne. Ce maître, dit-il, s’occupait d’abord d’établir les grandes masses, et s’inquiétait peu de la peau de l’hydre et de celle du lion, assuré que ces accessoires se formeraient comme d’eux-mêmes Sous son ciseau quand les parties principales seraient rendues harmonieusement et largement. Ce mot n’a pas besoin de commentaire ; c’est d’une figure d’Hercule qu’il s’agit, et c’est Cicéron qui parle. Il est évident que le mot de leves genas ne peut se rapporter qu’à l’âge du héros : Hercule jeune, mais terrassant l’hydre, dut toujours être Hercule. Les anciens ont souvent comparé Polyclète à Phidias ; et ils ont placé ces deux grands maîtres au même rang lorsqu’ils n’ont pas donné la préférence à Polyclète. Soixante-dix ans environ après la mort de ce dernier, et lorsque la restauration du temple d’Ephèse incendié fut terminée, comme il s’agissait d’y placer cinq statues d’amazones, dont une était de Phidias, une de Polyclète, une troisième de Cydon, une autre de Ctésilas, etc., des statuaires furent invités à ranger ces figures suivant leur mérite ; et d’une commune voix, celle de Polyclète fut placée la première, celle de Phidias la deuxième, celle de Ctésilas la troisième, celle de Cydon la quatrième. Socrate demandait au philosophe Aristodème : « Quels sont les hommes que vous tenez pour les premiers dans tous les arts qui dépendent du génie ? » Aristodème répondit : « Ce sont, dans la poésie épique, Homère ; dans le dithyrambe, Mélanippide ; dans la tragédie, Sophocle ; dans la sculpture, Polyclète ; dans la peinture, Zeuxis. » Ni Socrate, ni Xénophon, présents à ce colloque, n’ont désavoué le jugement d’Aristodème. Denys d’Halicarnasse assimile Polyclète à Phidias pour la gravité, pour l’ampleur, pour la magnificence du style. Les Latins eussent exprimé les qualités que désigne l’auteur grec par les mots de gravitas, granditas, amplitudo. Strabon s’exprime en ces termes (1. 8) en parlant des sculptures renfermées dans ce temple de Junon à Argos : « Là, dit-il, sont des statues de Polyclète, supérieures à toutes les autres quant au mérite de l’art, inférieures à celles de Phidias pour les dimensions et pour la richesse. » Ce passage a été entendu autrement ; mais on reconnaîtra la justesse de notre, interprétation si l’on considère que Strabon oppose le mérite du style aux proportions du monument et à la valeur de la matière. Polyclète est un des maîtres de l’antiquité qui ont exercé