Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 34.djvu/241

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et du style. Quoique les figures antiques fussent regardées par lui comme la source des beautés où presque toutes celles de la nature avaient été fondues ou épuisées, elles n’offraient plus qu’un petit nombre d’attitudes et d’expressions déterminées. Il fallait les mettre en action, les diversifier, les disposer suivant les lieux, les temps, les mœurs, les usages, dans le vaste champ, soit profane, soit surtout sacré, que sa religiosité embrassait. Il dut suppléer à ce qui lui manquait pour compléter l’étude agrandie de l’art. Dans cette vue, il méditait partout et observait dans les villas, dans les places, dans les églises de Rome ; il notait sur ses tablettes toutes les actions qui l’intéressaient et le frappaient le plus. Il remarquait les effets de l’optique et des autres phénomènes dans la nature, comme ceux de l’art dans les monuments et dans les ouvrages des grands maîtres. Il s’instruisait des théories de la perspective dans Matteo Zoccolini, de l’architecture dans Vitruve et Palladio, de la peinture dans Alberti et Léonard de Vinci. Il étudiait l’anatomie, non plus seulement dans Vésale, mais dans les dissections de Nicolas Larche ; le modèle vivant dans l’atelier du Domíniquin, et, pour l’élégance des formes, dans celui d’André Sacchi ; enfin les plus beaux traits de poésie et d’histoire dans Homère et Plutarque, et surtout dans la Bible. Ses études spéciales en peinture avaient principalement pour objet le caractère moral, et les affections de l’âme les plus propres à l’exprimer et à le développer. Pendant que les jeunes peintres allaient en foule copier à St-Grégoire le Martyre de St-André du Guide, Poussin s’était attaché presque seul à celui du Dominiquin. Mais bientôt, ayant fait remarquer la force d’expression de ce tableau, il parvint à y ramener l’attention de la plupart des autres peintres. L’auteur, alors malade et qu’il ignorait vivre encore, l’apprenant, se fit transporter sur le lieu et embrassa comme ami celui qui rétablissait l’honneur de l’art en même temps que la mémoire de l’artiste méconnu. Un autre tableau, la Communion de St-Jérôme, fut, sinon présenté au Poussin comme de la vieille toile pour peindre dessus, du moins tiré par lui de l’espèce d’oubli où l’avait fait reléguer l’accusation de lagiat (voy. le Dominiquin). Son mérite original fut, selon Fuesli, le sujet d’une leçon publique du Poussin, qui, assimilant ce tableau, ainsi que la Descente de la croix de Daniel de Volterre, à la Transfiguration de Raphaël, le proclama, comme on sait, l’un des trois chefs-d’œuvre de la peinture. Tout en préférant ouvertement le Dominiquin au Guide, la prudence et la modération du Poussin l’empêchèrent de prendre aucune part aux querelles des deux artistes rivaux. Il louait dans les maîtres de chaque école ce qu’ils lui offraient d’estimable. Le Caravage était le seul qui lui parût dégrader la peinture par l’imitation alïectée d’une nature vulgaire et basse, moins excusable encore en Italie qu’en Flandre. Cependant vers l’époque du retour du cardinal légat, soit instigation de la part d’italiens jaloux, soit animadversion contre les Français, à cause du peu de succès de la légation, Poussin fut attaqué par des soldats près de Monte-Cavallo, en regagnant son logis. Il se para en vain de son portefeuille, et reçut un coup de sabre entre le premier et le deuxième doigt. Depuis cet événement, notre peintre prit et ne quitta plus le costume romain. Échappé à cet accident, occasionné par l’habit français, il ne put éviter l’atteinte d’une maladie grave, qui fut peut-être causée par cette suite d’études, de courses et de travaux pénibles, et qui lui attira des soins plus qu’hospitaliers, dont les motifs ne pouvaient être dus qu’à la considération et à l’estime. Il avait été recueilli dans sa maladie par l’honnête famille de Jacques Dughet, son compatriote, chez lequel il recouvra la santé. Poussin, par reconnaissance, épousa en 1629 une des filles de son hôte, Anna-Maria, qui l’avait soigné avec sa mère. Il n’en eut point d’enfants ; mais il adopta l’un des jeunes frères de sa femme, qui hérita de son nom comme de son talent pour le paysage (voy. Gaspar Dughet). La dot, employée à l’acquisition d’une petite maison sur le mont Pincío, d’où l’on jouissait des plus beaux aspects de Rome, et qui avait à côté la maison de Salvator Rosa et en face celle de Claude Lorrain, ne tourna que plus tard au profit du peintre et à l’avantage de l’art. Plusieurs tableaux historiques lui furent d’abord commandés à l’arrivée du cardinal Barberini. Selon Bellori et Félibien, le premier dont on le chargea fut la Mort de Germanicus. Ce tableau, par la sévérité de la composition, la profonde affliction d’Agrippine, couverte d’un voile, l’attitude des chefs debout, la lance à la main, attentifs aux derniers mots du héros, l’apparition aux regards du mourant d’une ombre sous la draperie, levant un glaive vengeur, et dépeignant par cette allégorie les sentiments que la peinture ne peut exprimer, annonçait le grand talent de l’auteur pour la composition expressive et dramatique. L’allégorie cessait ainsi d’être accessoire : par le caractère moral qu’il lui donnait, elle devait devenir essentiellement historique comme dans le Coriolan, où, en faisant apparaître le génie tutélaire de Rome avec la Fortune désolée et gisante derrière le groupe de la famille en pleurs, il découvre le noble motif qui désarme la vengeance du général romain. Le second sujet qu’il eut à traiter, et que Passeri dit être le premier, fut la Prise de Jérusalem, où le peintre se montrait déjà savant dans les usages et les costumes des anciens. Le cardinal ayant fait présent de ce tableau a l’ambassadeur impérial, le prince d’Echemberg, Poussin en composa un autre, qu’il enrichit de la pompe triomphale représentée dans les bas-reliefs de l’arc de Titus et qui fut