Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 34.djvu/242

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aussi donné en présent. La protection du cardinal Barberini valut encore à l’artiste français, par la bienveillance du commandeur Cassiona del Poaso, d’être employé à peindre un grand tableau du Martyr de St-Erasme, pour être copié en mosaïque à la basilique de St-Pierre. Une telle faveur, accordée rarement aux étrangers, dut exciter la jalousie des nationaux, et ce tableau, qu’il exécuta dans la manière du Dominiquin, et qui eut pour pendant celui du Valentin, son ami et son compatriote, put lui attirer des ennemis ou des détracteurs. Passeri témoigne que le Poussin affirmait n’avoir reçu aucune récompense pour son tableau, soit par l’effet d’une disgrâce, soit par la malignité de l’intendant des travaux ; cependant, selon Torrigio, cité par Bonanni, le tableau lui aurait été payé cent écus romains. Quoi qu’il en soit, c’est là que paraît s’être borné le petit nombre d’ouvrages dont il fut chargé par le gouvernement pontifical et pour le légat ; mais ils lui valurent l’amitié particulière et constante du chevalier del Pozzo, de Turin, qui occupa ou recommanda son talent, et dont le cabinet lui fut ouvert pour ses études d’antiquités, ainsi que la bourse pour ses avances et ses besoins. Rarement peignit-il dans la suite des tableaux d’une grande dimension, si ce n’est pour quelques églises ou galeries étrangères. L’Idole de Dagon tombant devant l’arche, ou la Peste des Philistins, qu’il exécuta en 1630 pour le sculpteur Matteo, moyenant soixante ou peut-être même quarante écus, en fut acheté mille dans la suite par le duc de Richelieu ; il contenait une multitude de figures renfermées dans un espace d’une médiocre étendue, mais assez grand pour y développer les scènes de teneur et de pitié par les circonstances tirées non-seulement de l’action, mais du lieu de l’événement. L’auteur paraît y avoir eu en vue les anciens et Raphaël pour le style et l’expression. Mais il agrandit en maître sa composition, en subordonnant ses expressions à son sujet, en y rattachant les épisodes et les accessoires dont il le fortifie et l’enrichit, en coordonnant de plus, dans les fonds et les sites dont il l’accompagne, la perspective locale, la teinte des ciels, la couleur des fabriques à l’intérêt de la scène. Si ces édifices, dans la ville idolâtre d’Azoth, se ressentent de l’étude des fabriques de Rome profane, l’effet total n’en rend que plus frappante la chute de l’idole superbe devant l’arène sacrée, et si le peintre a su pousser l’horreur jusqu’à faire sentir le dégoût qui naît de l’infection, à l’exemple de Raphaël, c’est du moins un homme du peuple, qui se bouche d’une main les narines et indique par ce signe la partie menacée ; mais de l’autre main il écarte un enfant du sein empesté de la mère, action morale qui ennoblit son geste et qui ajoute à l’effet pathétique général. Nous nous sommes arrêté à quelques-uns de ces tableaux, qui, sans être encore les chefs-d’œuvre de leur auteur, manifestent le grand talent de réunion des qualités qui constituent le poëte moral et l’historien dramatique. La suite de la vie du Poussin, tout entier à son plan de travail, et pouvant changer de lieu et de sujet, mais jamais de vue ou d’objet, ne fit que les développer et les porter à un haut degré de perfection, ce qui nous dispense de nous étendre longuement sur le plus grand nombre de ses tableaux, répandus dans les cabinets et les musées ou décrits fréquemment dans les livres, et multipliés si diversement et tant de fois par les gravures. Les tableaux de chevalet surtout, tels que celui de la Peste des Philistins, offrant plus d’économie de temps et de moyens, et un champ plus convenable à la vivacité de conception et à la précision d’esprit de l’auteur, renfermaient aussi des poëmes entiers dans des cadres plus bomés, plus commodes à examiner, plus faciles à transporter et à reproduire : ils furent vivement goûtés et propagèrent rapidement la réputation du Poussin. Das découvertes d’antiquités, en enrichissant l’art, telles que celle de la Noce dite aldobrandine, dont il fit des copies, l’attachaient de plus en plus à l’étude de l’antique, et la mosaïque de Palestrine, représentant des scènes d’Afrique exécutées par des artistes grecs, lui servit pour les fabriques de plusieurs de ses compositions ; cela explique comment, pour contraster peut-être, il a introduit quelquefois dans l’Égypte ancienne des temples d’un goût grec, comme il a, par un motif analogue, employé des édifices du style romain dans des sites de la Grèce, ce qui semble moins disparate. Poussin, d’un caractère généreux et reconnaissant, dessina, conjointement avec Pietro Testa, pour le commandeur del Pozzo, dont le cabinet d’antiques et de médailles était à sa disposition, les vues principales des antiquités de Rome, faisant partie des nombreux volumes de cette collection. Il composa aussi pour lui, avec tout le soin préliminaire qu’il mettait à modeler, à grouper et à disposer ses figures, la première suite des Sept sacrements, conçus et traités avec toute la dignité, l’esprit et l’intérêt du sujet, quoique la proportion des figures soit inférieure à celle de trois palmes qu’offrait le précédent tableau. Cette composition vraiment religieuse, multipliée bientôt par le burin de Jean Dughet, son plus jeune beau-frère, et l’objet continuel des visites des voyageurs étrangers, acheva de porter au loin la réputation de son savant auteur. Il reçut des commandes pour Naples, pour l’Espagne, et fit pour le marquis Amédée del Pozzo, à Turin, le Passage de la mer Rouge et l’Adoration du veau d’or, dont un second tableau périt presque entièrement lors d’une révolution à Naples. Beaucoup de demandes lui furent faites pour la France : Major è longuinquo reverentia. Il travailla pour la duchesse d’Aiguillon et pour le maréchal de Créqul. Ce fut à Rome et non à Lyon que Jacques Stella, étant à la suite de cet