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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 34.djvu/250

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ni de peindre, il ne laissait pas d’occuper sa pensée et de méditer sur son art. Il écrivait en mars 1665 (sans doute par la main de Jean Dughet) au frère aîné de M. de Chanteloup (voy. Chambrai), qui lui avait envoyé son livre De la parfaite idée de la peinture, que cet ouvrage avait servi d’une « douce pâture à son âme affligée » ; en même temps il expose les idées que lui a fait naître la division des parties de cet art par Junius ; et il distingue neuf parties essentielles qu’il laisse à de bonnes et de savantes mains à développer, ne pouvant d’ailleurs y donner maintenant une forte attention sans se trouver mal. Le procédé d’un petit-neveu, qui vint à Rome et qui, selon Passeri, se conduisit indiscrètement envers le Poussin, dut aigrir ses peines. En les confiant a son ami, dans une lettre du 28 du même mois, il le prie de se souvenir de la prière qu’il lui a faite de le protéger après son trépas. Dès le mois de janvier 1665, il avait mandé à Félibien qu’ayant depuis quelque temps abandonné ses pinceaux, il ne pensait principalement qu’à se préparer à la mort : « J’y touche, disait-il, du corps » ; mot remarquable qui annonce que notre peintre philosophe était loin de croire que tout était fini pour lui, comme le lui fait dire le traducteur des Mémoires de madame Graham. il avait sans doute au fond de l’åme et présents à sa pensée les impressions, les sentiments qu’il a si souvent retracés dans ses sujets et qui montrent combien il était pénétré et plein des livres saints ; car on en reconnaît tout l’esprit et l’on croit lire la Bible elle-même dans ses ouvrages. Une inflammation d’entrailles, suite de la maladie nerveuse dont il était attaqué, lui laissa néanmoins toute sa force morale et sa connaissance pour dicter une dernière lettre, dans laquelle il marquait à son ami Chanteloup l’extrémité où il se trouvait ; et en effet sa mort suivit de près : comme il avait vécu en homme de bien et en sage, il mourut de même en chrétien, après avoir reçu les sacrements, le 19 novembre 1665, dans la 72e année de son âge. Son service funèbre, auquel assistèrent tous les peintres de l’académie de St-Luc, les artistes français, les amateurs des beaux-arts et plusieurs seigneurs et cardinaux, fut célébré à St-Laurent in Lucina. L’abbé Nicaise, chanoine de Dijon et ami particulier du Poussin, orna sa tombe d’une inscription ; et Bellori, son historien, y ajouta l’épitaphe en vers qui se termine par ces mots : In tabulis vivit et eloquitur. Le Poussin, par son testament, avait défendu toute cérémonie pompeuse à ses funérailles. De quinze mille écus romains, qui étaient tout le fruit de plus de quarante années de travaux, il laissait un tiers à la famille de sa femme, dont il avait reçu des services, et les deux autres tiers à une nièce d’Andely et à ce même neveu qu’il instituait son légataire universel, en recommandant, comme il l’écrivait à M. de Chanteloup, ces gens simples « pour qu’ils ne soient trompés ni volés », aux mêmes bontés que son ancien ami avait eues pour « son pauvre Poussin ». Le zèle constant de cet ami pour la mémoire de celui qu’il venait de perdre lui fit faire des recherches pour découvrir si le Poussin, qui avait eu le projet d’écrire sur la peinture, avait laissé des manuscrits à ce sujet. Jean Dughet (selon Félibien), consulté, répondit qu’il n’existait d’autre manuscrit qu’une copie du traité : De lumina et umbra du P. Matteo Zoccolini. Cependant Bellori, à la suite des Mesures de l’Antinoüs, a donné des Observations, en italien, attribuées au Poussin, sur la peinture, qui étaient, dit-il, conservées dans la bibliothèque du cardinal Massími et qu’a traduites en français M. Gault de St-Germain. Mais ces observations se bornent à de vagues généralités sur l’ordre, le mode, etc., et rappellent à peine quelqu’une des neuf parties qu’énonçait le Poussin, dans sa lettre à M. Chambrai de Chanteloup, comme essentielles à la peinture, savoir (après le choix d’une matière noble et capable de recevoir une excellente forme) : la disposition, l’ornement, la convenance, la beauté, la grâce, l’expression, le costume, la vraisemblance et le jugement partout. Les lettres fréquemment rapportées dans le cours de cet article annoncent pu moins l’existence d’une longue correspondance du Poussin avec M. de Chanteloup. Quoique en général elle soit restée inédite, elle était connue en assez grande partie par les citations (qui, à la vérité, ne sont pas toujours textuelles) de Félibien et d’autres biographes. Les lettres originales étaient conservées dans la maison de M. de Favry, le petit-neveu de M. de Chanteloup ; on ne sait ce qu’elles sont devenues depuis l’époque de 1796. La bibliothèque de Dufourny en possédait d’anciennes copies manuscrites, au nombre de cent quarante-sept. L’auteur de cet article a profité de quelques renseignements utiles à son objet, qu’une communication rapide avait pu lui procurer ; mais il n’a pas cru devoir faire usage de détails d’affaires ou d’art qui sortaient du plan ou des limites d’une notice. D’autres lettres du Poussin, mais en italien, au chevalier del Pozzo, imprimées dans les Lettere pittoriche, étaient possédées en original par Dufourny. M. Castellan les soupçonnait écrites presque toutes de la main du Guaspre, sauf quelques lettres autographes ou mêlées de l’écriture de Poussin ; cette conjecture se trouve confirmée par le caractère analogue de la copie manuscrite du Traité de peinture de Léonard de Vinci, accompagnée de dessins faits pour ce traité par le Poussin et donnée à M. Chambrai de Chanteloup, qui en a publié une version française en 1651[1]. C’est encore au zèle et aux

  1. On connaît plusieurs manuscrits de la traduction du traité ds Léonard de Vinci, avec des dessins attribués à Poussin. Un fut adjugé en 1816, à Londres, à la vente des livres du libraire Edward, au prix élevé de cent-deux livres sterling ; M. Renouard en possédait un autre, à l’égard duquel il entra dans des détails circonstanciés (Catalogue de la bibliothèque d’un amateur, t. Ier.