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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 34.djvu/249

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Bellori, l’un de ses auditeurs, qu’on eût cru ses discours préparés et médités. Ses entretiens étaient graves et spirituels avec les savants, nobles et pleins de franchise avec les grands, affables et ouverts avec ses amis. On y retrouvait ce sens droit, cet intérêt moral qui attache tant dans ses ouvrages ; enfin cette philosophie pratique qui lui faisait répondre à cette demande : Quel fruit le plus doux il avait recueilli de son expérience ? Celui de savoir vivre avec tout le monde. Il savait aussi s’attacher par choix et honorer le rang uni au mérite. Il avait appris en servant ceux dont il possédait l’amitié et l’estime se servir lui-même et ne point rougir de la pauvreté. On connaît sa réponse au cardinal Massimi, qui, après être resté avec lui fort avant dans la nuit, voyant l’artiste le reconduire la lampe à la main, le plaignait de n’avoir pas de laquais : « Et moi je vous plains, monseigneur, d’en avoir tant ». Mais on connaît moins l’application personnelle d’un mot ancien faite à un homme de qualité qui lui montrait un tableau de sa façon : « Qu’il ne manquait à l’auteur que d’être moins riche pour devenir un bon peintre. » Cette même philosophie, qui le rendait supérieur à la fortune, l’élevait aussi au-dessus des vanités de la science, tout en aimant les arts. Il visitait un jour des ruines avec un étranger curieux de posséder quelque rare antiquité. Le Poussin, se baissant, ramassa dans l’herbe un peu de terre et de chaux avec de petits morceaux de porphyre et de marbre, presque réduits en poussière, et en les lui donnant : « Emportez cela, seigneur, pour votre cabinet, et dites : « Voilà Rome ancienne. » Ces divers mots étaient bien de l’homme qui avait peint, dans le tableau de Phocion, une femme recueillant les cendres de ce grand capitaine ; ou dans celui de Diogène, l’action du philosophe, qui fait sentir que, là où la nature est tout, l’art devient superflu. Le Poussin était, dans ses entretiens et dans ses ouvrages, porté par le progrès de sa réflexion aux sujets graves et sérieux. Il ne laissait pas néanmoins de se conduire avec ses amis suivant leur caractère et de les traiter selon leur goût. Quoique occupé le plus souvent de paysages historiques, il revenait quelquefois au genre proprement dit de l’histoire. Il passait aussi des compositions de la Bible aux sujets mythologiques ou allégoriques. Après avoir fait pour Stella le paysage du Moïse exposé sur les eaux, dont on a parlé, il composa le Moïse enfant, foulant aux pieds la couronne de Pharaon, pour le cardinal Massiml, qui eut aussi de lui un Apollon et Daphné, resté imparfait. Le Poussin fit encore pour Stella une Naissance de Bacchus, et pour madame de Chanteloup une Fuite en Égypte, et ensuite une Samaritaine, qui fut son dernier tableau de figures dans le genre de l’histoire, comme il l’annonçait dans sa lettre d’envoi à M. de Chanteloup ; car les sujets des Quatre saisons, qui appartiennent au grand genre du paysage historique, commencés dès 1660, ne furent finis que postérieurement, en 1664. Dans l’intervalle, il paraît avoir aussi composé le tableau du Ballet de la vie humaine, tiré du Songe de Polyphile et figuré par le Plaisir et le Travail, la Richesse et la Pauvreté, dansant au son de la lyre du Temps ; sujet qui lui fut demandé par le prélat Jules Rospígliosi, depuis pape sous le nom de Clément IX. Ce fut pour le duc de Richelieu que le Poussin composa les tableaux des Saisons, qui peuvent donner principalement l’idée des quatre modes déjà retracés, le riant, le touchant, le grave et le terrible. Chacun de ces sujets fait d’une scène locale une grande conception poétique et historique. Le Printemps est figuré par Adam et Ève dans le paradis terrstre ; l’Été par l’épisode de Booz et Ruth ; l’Automne par la grappe de raisin rapportée de la terre promise ; l’Hiver, le chef d’œuvre du génie et, l’on ose dire, de la peinture, par le déluge. L’arche de Noé, portée sur les plus hautes eaux, sous la faible lueur de l’astre à demi effacé ; les eaux retombent en vagues ou prêtes à couvrir le sommet dont le serpent, emblème du mal, cherche à gagner la cime ; une faible barque entraînée par les flots où un homme, au haut de la proue, ne s’occupe pas, comme dans le Déluge du Carrache, à redresser la barque, mais, les mains levées, invoque le ciel, dont il voit la foudre sillonner l’atmosphère, action qui caractérise ce sujet religieux ; d’un autre côté la tendresse d’une mère, survivant à la catastrophe et lui faisant tendre à son mari son enfant qu’il ne peut atteindre ; enfin cette couleur sombre et uniforme qui enveloppe la scène et qui porte à l’âme une impression profonde de tristesse ; tout annonce, non simplement une scène du déluge ni une submersion commençante ou consommée, mais le déluge même s’opérant et produisant l’effet le plus grand et le plus terrible. Depuis quelques années la constitution du Poussin, quoique robuste, s’était affaiblie par le long travail qui, en exerçant chez lui la sensibilité et la réflexion, épuisait ses forces. Si la touche un peu molle qu’on a remarquée dans le Déluge, son dernier tableau, semble convenir a une nature noyée par les eaux, ce qui alors pourrait être une beauté serait partout ailleurs un défaut. Le tremblement de sa main se fait sentir dans les dessins de ce temps, dont le trait est mal assuré. Le chagrin que lui causa la mort de sa femme, qu’il perdit vers la fin de 1664, accrut son infirmité, et il marque, à ce sujet, à M. de Chanteloup, que, n’ayant plus qu’à se disposer au départ, il recommande aux bons soins de l’amitié ce qu’il laisse à ses parents d’Andely ; il ajoute que la main lui tremble tellement qu’il a peine à terminer une lettre en huit jours ; on voit que, malgré son agitation nerveuse, il était courageux et résígné. À cette époque où ses forces paralysées ne lui permettaient plus de sortir