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conomie politique et de l’impôt (1817, in-8o ; 5e édit., 1821), ont été traduits en français, Paris, 1819, 2 vol. in-8o, par F.-S. Constancio, avec des notes explicatives et critiques par J.-B. Say, 2e édition, revue, corrigée et augmentée d’une notice sur la vie et les écrits de Ricardo, publiée par sa famille, Paris, 1835, 2 vol. in-8o[1], qui ne partage pas toujours les opinions de Ricardo, auquel il reproche surtout de donner à ses propositions trop de généralité. Des trois points principaux de la doctrine traités par Adam Smith, la rente, les salaires et le profit (ou mieux le revenu), le premier, que Smith n’a pas traité avec sa supériorité ordinaire, a été fort bien développé par Malthus dans ses Recherches sur la nature et les progrès de la rente et sur les principes qui lui servent de règle (And Inquiry on the nature and progress of rent and the principes by whicht it is regulated), Londres, 1815, 61 pages. Dans ce petit ouvrage, Malthus établit, d’une manière neuve et frappante, la doctrine de la rente ; et il est à remarquer que, dans le même temps, un membre de l’université d’Oxford posait et développait les mêmes principes, coïncidence honorable pour l’Angleterre. Malthus et Ricardo ne diffèrent que sur l’extension à donner à cette doctrine et sur celle de son application pratique. Voici, au reste, la théorie fondamentale et distinctive du grand ouvrage de ce dernier. Il établit d’abord que la valeur d’une marchandise dépend de la quantité de travail nécessaire pour la produire, et non pas du plus ou du moins de salaire payé pour ce travail ; et secondement, que les bénéfices d’un capital varient toujours dans la proportion inverse du mouvement des salaires, c’est-à-dire que les bénéfices s’élèvent lorsque les salaires baissent, et baissent lorsque les salaires s’élèvent. Ricardo démontre en outre que la valeur du produit brut, qui forme la subsistance de la classe ouvrière, tend constamment et nécessairement à s’élever dans la proportion du progrès de la civilisation, par la nécessité d’étendre progressivement les dé richement et la culture sur des terrains d’une valeur reproductive progressivement décroissante ; or, comme le salaire de l’ouvrier doit, de toute nécessité, s’élever avec le prix des denrées nécessaires à sa subsistance, il s’ensuit que, dans la marche progressive de la société, la tendance naturelle des salaires du travail est à la hausse et celle des bénéfices des capitaux à la baisse. Il cherche à établir, dans le même ouvrage, que le profit que fait un propriétaire foncier sur sa terre, c’est-à-dire ce que lui paye son fermier, ne représente jamais que l’excédant du produit de sa terre sur le produit des plus mauvaises terres cultivées dans le même pays. Cette dernière opinion, purement spéculative, a été vivement attaquée par plusieurs écrivains, entre autres par Malthus, qui, toujours en discussion avec Ricardo, n’en était pas moins un de ses amis les plus intimes. Celui-ci, qui avait depuis quelque temps abandonné la religion de ses pères pour se faire chrétien anglican et qui possédait de vastes domaines, dont plusieurs lui donnaient l’entrée au parlement, était en 1817 membre de la chambre des communes. Nous ignorons l’époque précise de son début parmi les députés de la nation anglaise ; nous savons seulement qu’il eut lieu assez tard. Indépendant par sa fortune et par son caractère, il se plaça sur les bancs de l’opposition qu’il ne déserta en aucun temps. Il se prononça fortement en faveur d’une réforme parlementaire, et ne craignit pas de prendre la défense du libraire Carlisle, convaincu d’avoir publié des écrits irréligieux ; c’était, dit-on, une conséquence naturelle des principes contenus dans un discours que Ricardo avait prononcé à l’appui de la pétition des dissenters de Liverpool. Cependant les opinions de Ricardo étaient en général modérées, et il ne passait pas pour partager les principes de l’homme dangereux dont il s’était imprudemment fait le champion. On peut donc croire que, dans cette circonstance comme dans quelques autres de sa vie politique, il se laissa égarer par les préjugés et les passions souvent peu réfléchies du parti qu’il avait adopté. Tous les gens sensés et impartiaux pensent avec lui que la persécution est un mauvais auxiliaire pour la religion ; mais ils pensent aussi qu’on ne peut qualifier de persécution les mesures que les gouvernements sont quelquefois obligés de prendre pour mettre un frein à la licence de ces hommes pervers et audacieux qui cherchent à corrompre le moral des nations en détruisant toute idée religieuse. On ne peut disconvenir en effet que l’édifice social courût risque d’être bientôt renversé, si les gouvernements avaient la faiblesse de fermer les yeux sur des écarts aussi graves et dont l’histoire de notre nation a démontré que les conséquences étaient si funestes. Quoi qu’il en soit, les talents et la bonne foi de Ricardo étaient si généralement reconnus ; on savait si bien qu’il ne cherchait jamais que la vérité et le bonheur de son pays, que les ministres le consultaient toujours sur les questions délicates d’économie politique. S’il faut en croire les écrivains anglais, peu de personnes possédaient à un degré aussi supérieur le talent de

  1. M. Ferrier, l’un des antagonistes les plus prononcés et des plus habiles des écrivains de l’école de Smith, prétend dans son ouvrage Sur le gouvernement, considéré dans ses rapports avec la commerce) que Smith, Say, Ricardo et la plupart des économistes ont toujours raisonné sans avoir égard à la séparation d’intérêts des différentes nations, et dans la supposition où il n’existerait qu’une seule société d’hommes. Il est vrai que l’ouvrage de M. Ferrier a paru sous le régime continental, lequel n’était pas précisément conforme à la doctrine de Smith ; mais cet écrivain n’a pas varié d’opinion sur les économistes en général et sur Ricardo en particulier : « Écrivant pour l’Angleterre, nous mande M. Ferrier, Ricardo a dit sur le papier monnaie des choses justes et profondes ; mais lorsqu’il a voulu généraliser sa pensée, il est tombé dans l’erreur, parce qu’il ne faut jamais juger d’un peuple par un autre quand il s’agit d’institutions qui reposent sur de vieilles habitudes, sur de longs et nombreux antécédents. »