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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 36.djvu/530

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n’allait pas moins loin[1], comme l’attestent les brûlantes proclamations qu’il lançait aux populations sans s’en avouer l’auteur. Mais dès le 20 mars, Murat étant obligé de prendre la fuite, son jeune défenseur quitta Bologne, et, après avoir erré quelque temps dans les Calabres, parvint à Naples, où il s’embarqua pour se rendre en Suisse. Il arriva dans le printemps de 1816 à Genève, qu’il avait déjà visitée en 1813, et il s’y fixa. Cette ville était alors le rendez-vous d’un grand nombre d’hommes supérieurs dans les sciences naturelles et dans les sciences morales. Rossi vint prendre sa place au milieu d’eux. A Coppet, chez madame de Staël, il eut l’occasion de faire la connaissance de M. le duc de Broglie, qui l’attira plus tard à Paris et qui devait contribuer, avec M. Guizot, à lui ouvrir la carrière de l’enseignement et de la politique. On a beaucoup reproché à l’illustre banni ses changements de patrie. Si les circonstances le déterminèrent à en changer, il devait montrer au prix de son sang que l’Italie resta toujours la patrie de son cœur. Peut-être aussi ce fut pour son intelligence une bonne fortune que ces divers séjours, qui devinrent pour lui comme autant d’écoles. Lorsqu’il devait aborder plus tard les problèmes du travail et de la richesse, il put le faire sans tomber dans aucun des écueils de la spécialité exclusive, c’està-dire en philosophe, en moraliste, en litique, et dans un véritable esprit de cosmopolitisme. Il lui fut donné, par la comparaison étendue des divers systèmes d’économie politique, comme aussi de droit pénal et de droit constitutionnel, d’introduire pour sa part dans les sciences morales une sorte d’éclectisme judicieux et ferme qui vise, non sans succès. À tenir compte de tous les faits comme de toutes les doctrines. — Pendant plusieurs années, il s’enferma dans une petite maison de campagne aux portes de Genève, y consacrant sans relâche ses jours et souvent ses nuits au travail, apprenant l’allemand, étudiant l’anglais, se fortifiant dans le français, qu’il comprenait alors sans le parler, et qu’il devait plus tard parler et écrire avec une distinction rare, approfondissant en même temps le droit public, l’économie politique et l’histoire, enfin s’exerçant à traduire ou à imiter en vers italiens, qui participent, a-t-on dit, de la concision du Dante et de la noblesse d’Aliieri, quelques-uns des poèmes de lord Byron : le Corsaire, Parùina, le Giaour. Un cours de jurisprudence appliquée au droit romain le mit, en 1819, en rapport avec le public de Genève, et tels furent, dans ces matières arides, l’éloquence, la diversité d’aperçus, le charme même de son enseignement, que les magistrats de Genève, admettant pour la première ois depuis trois cents ans un catholique dans l’académie protestante de Calvin, lui confièrent la chaire de droit romain où avait autrefois enseigné Burlamaqui. Bientôt naturalisé, Rossi ne tardait pas à établir entre Genève et lui un lien de plus. Il s’unissait à une jeune Genevoise qui lui donnait une modeste aisance et le bonheur intérieur. Peu de temps après il était nommé député au conseil représentatif de Genève. Il y prit peu à peu une importance sans égale. « On trouverait difficilement ailleurs, écrit M. Hubert Saladin dans un travail intitulé M. Rossi en Suisu, « de 1816 à 1833, une position semblable à celle « que Rossi se fit à Genève. Il y tenait la première place comme orateur, jurisconsulte, « législateur, homme d’État, et personne ne sougeait à lui disputer cette supériorité incontestée dans un pays qui n’avait ce ndant jamais compté autant d hommes supérieurs qu’à « cette époque. Il prit une part active à toutes les a réformes qui furent apportées dans l’administration du pays. » - En même temps il fondait les Annales de législation et de jurirpmdmn avec Sismondi, Bellot, Étienne Dumont, ancien collaborateur de Mirabeau, savant et enthousiaste commentateur de Bentham. — C’est aussi de cette

période que date son Traité de droit pénal, qui vit le jour en 1828 (Paris, 3 vol. in-8°) et qui vient d’être publié de nouveau. M. Odilon Barrot en a présenté récemment devant l’Académie des sciences morales une substantielle analyse. L’illustre orateur y discute contradictoirement plusieurs points de doctrine, tout en approuvant la philosophie générale qui inspire cet ouvrage destiné à garder une place importante dans la science du droit. Rossi n’y fait point découler le droit de punir, pour la société, du droit de se venger, comme la plupart des anciens cri mina listes, ni du seul besoin de la défense, comme Beccaria, ni du principe exclusif de l’utilité, comme Bentbam, ni de la poursuite de l’amendement moral, comme les auteurs du système (pénitentiaire, mais de l’idée pure de la justice, ont l’État est le dépositaire et l’organe. Le devoir de l’État, suivant lui, sa mission propre. est de faire servir la force à la réalisation de cette justice qui punit et réprime. Dans ce système, lutilité peut être habituellement la mesure des peines, elle n’en est pas le principe. Une savante combinaison de la justice avec l’utilité, tel est donc le caractère que revêt avec Rossi la philosophie du droit pénal. Il approuve en principe la peine de mort ; mais, non content d’en modérer l’usage pour le présent, il ne craint pas de prédire un moment où elle pourra disparaître presque entièrement sans péril pour la société. Ses fines analyses sur les degrés du crime, qu’il marque d’après la qualité de l’acte et l’intention de l’agent ; ses études sur la tentative, sur la complicité, sur les points les plus controversés et les plus délicats de la théorie pénale ; la hauteur fréquente des aperçus et la rigueur des déductions donnent à cet ouvrage de Rossi une véritable valeur. Mais son

  1. On peut lire à ce sujet dans la Revue des Deux Mondes du 1er décombre 1861 une intéressante étude de M. de Mazada.