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vint se cacher avec Nicolas Fontaine et Thomas du Fosse dans le faubourg St-Antoine. Il ne sortait que pour ses affaires ou pour des conférences relatives à ses ouvrages ; mais, comme il entretenait une correspondance avec les religieuses de Port-Royal, on finit par découvrir sa retraite. Il fut arrêté le 13 mai 1666 et conduit à la Bastille avec ses deux amis. Pendant sa détention, il entreprit de traduire la Bible ; cet ouvrage important l’occupa presque constamment le reste de sa vie, mais il n’eut pas la satisfaction de le voir achevé. Il recouvra la liberté le 31 octobre 1669, et, ayant été présenté au ministre, il lui demanda pour toute grâce d’adoucir le sort des prisonniers. Saci ne se sépara plus de Nicolas Fontaine (voy. ce nom) ; associés dans leurs travaux, ils firent ensemble de fréquents voyages jusqu’en 1675, qu’ils retournèrent à Port-Royal. Ils reçurent l’ordre d’en sortir en 1679, et Saci se retira près du marquis de Pomponne, son cousin, que Louvois et Colbert venaient d’éloigner du ministère (voy. Pomponne). Ce fut dans cet asile qu’il termina ses jours, le 4 janvier 1684. Il ne prit presque aucune part aux disputes de son temps et ne se permit, dit-on, qu’une seule fois de répondre à des attaques où il voyait des personnalités. Avec beaucoup de douceur et de modestie, il était fort entier dans ses opinions, même sur des choses purement de goût ; il n’avait, dit Racine, de déférence au monde que pour M. Singlin, homme, en effet, merveilleux pour le droit sens et pour l’esprit (voy. les Fragments sur Port-Royal). Doué de beaucoup d’esprit et de facilité, Saci cultiva dans sa jeunesse la poésie avec succès, et l’on ne peut guère douter qu’il n’y eût réussi s’il eût continué de s’y appliquer. L’Histoire de Port-Royal, par Jérôme Besoigne, et le Nécrologe de cette abbaye (voy. dom Rivet et St-Marc), renferment la vie de Saci, sur lequel on trouve aussi des détails dans les Mémoires de Nicolas Fontaine. Son portrait a été gravé dix fois dans divers formats d’après Nanteuil et Champagne. On lui a longtemps attribué l’Histoire du Vieux et du Nouveau Testament, connue sous le nom de Royaumont. et la Vie de D. Barthélémi des Martyrs ; mais on sait que le premier ouvrage est de Fontaine et le second de Thomas du Fossé (voy. ce nom). Il est cependant présumable que Saci y eut quelque part, ainsi qu’aux Instructions chrétiennes de Singlin et au Journal de Gorin de St-Amour. Il eut aussi beaucoup de part au Jardin des racines grecques (voy. Lancelot). On a de Saci : 1° le Poëme de St-Prosper contre les ingrats. traduit en vers français, Paris, 1646, et en prose, ibid., 1650 ; cette double version est réunie dans les éditions suivantes. Dupin la trouve supérieure à l’original (voy. Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques)[1]. 2° Sous le nom de St-Aubin : les Fables de Phèdre, traduites en français, ibid., 1647, in-12. Une note de Barbier, insérée dans le Dictionnaire des anonymes. deuxième édition, n° 6565, contient sur cette version des détails bibliographiques très-curieux. 3° Les Comédies de Térence, traduites en français et rendues très-honnêtes en y changeant fort peu de chose. ibid., 1647, in-12. Saci n’a traduit que trois comédies, l’Andrienne, les Adelphes et le Phormion. 4° Sous le nom de Jean Dumont : l’Office de l’Eglise, traduit en français, ibid., 1650, in-12[2]. Le P. Phil. Labbé en publia la critique sous ce titre : le Calendrier des heures surnommées à la janséniste, revu et corrigé, 1650, in-8o. L’abbé Guill. le Roy se chargea de répondre au P. Labbe, mais cette dispute n’eut pas de suite. 5° Les Enluminures du fameux almanach des jésuites intitulé la Déroute et la confusion des jansénistes, 165-1, in-8o. (C’est un poëme en vers libres ; il s’en fit deux éditions dans un mois ; la seconde est corrigée. Il a été réimprimé avec l’Onguent pour la brûlure (voy. Barbier n’Aucourt), 1683, in-8o ; 1733, in-12. 6° Sous le nom de Beuil, prieur de St-Val : l’Imitation de Jésus-Christ, traduite en français, 1662, in-8o et in-12. Le P. Bouhours, non content d’avoir censuré amèrement cette version dans le second des Entretiens d’Ariste et d’Eugène, en publia la critique en 1688 ; mais Saci se roidit sur les remarques du P. Bouhours, dont il ne voulut jamais suivre aucune (voy. Fragments historiques de Racine sur Port-Royal). Quoique plus élégante que fidèle, cette traduction a eu cent cinquante éditions (voy. la Dissertation de Barbier sur la traduction française de l’Imitation. Voyez aussi la préface de la nouvelle traduction de ce livre par Gence, où se trouve un précis historique comparé de la version de Saci avec celles qui l’ont précédée ou suivie[3]. 7° Sous le nom de Bonlieu : Traduction des 4e et 6e livres de l’Enéide de Virgile, 1666, in-4o ; 8° le Nouveau Testament, traduit en français, 1677, 2 vol. in-8o ; cette version, connue sous le nom du Nouveau Testament de Mons, parce que les premières éditions parurent sous la rubrique de cette ville, quoique imprimées par les Elzevir à Amsterdam, fut condamnée par plusieurs évêques et par le pape Clément IX, le 20 avril 1668 (voy. le Dictionnaire de Peignot,

  1. On ne doit pas omettre un Poëme sur l’Eucharistie, en dix chants, qui, quoique posthume et publié en 1695, avec une préface d’Ant. Arnauld, fut composé avant le précédent. G-ce.
  2. Le talent de Saci pour la poésie française se manifeste par une lettre de remercîment en vers et en prose, qu’il écrivit, tant en son nom qu’en celui de ses trois frères, à sa mére, qui leur avait envoyé quatre bourses travaillées de sa main, au sortir de leur cours de rhétorique. Cette pièce, qui se conserve en manuscrit dans quelques bibliothèques, plut tellement à madame le Maistre qu’elle engagea son fils à mettre, pour elle, en vers français quelques-unes des hymnes de l’Église ; il finit par les traduire toutes, et ce sont celles qu’on a dans les Heures dites de Port-Royal. C. M. P.
  3. Il faut compter dans le nombre des éditions de cette version les réimpressions faites depuis le siècle où elle a obtenu un succès prodigieux, causé tant par l’influence des écrivains de Port-Royal et du célèbre traducteur de la Bible, que par le mérite d’une élocution facile et abondante, favorable à l’effusion de la piété et au goût de la paraphrase qu’on a vu régner dans les ouvrages de dévotion et dans les maisons religieuses pendant tout le siècle de Louis XIV. G—ce.