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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 37.djvu/652

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délicat, et il a réussi à ne le point profaner, quoiqu’il se soit jeté dans tous les détails de ce mystère. Le seul reproche qu’on pourrait lui adresser, c’est d’avoir mêlé les rêves du paganisme au langage de la foi et d’avoir rendu l’enfer presque fabuleux, en y renouvelant les supplices de Tartare. Mais au siècle où Sannazar vivait, l’étude de l’antiquité exerçait une telle influence par la littérature et particulièrement sur la poésie, qu’on aurait cru violer les règles de l’épopée en lui refusant l’appui de la fable. Ces accusations, que depuis Erasme on reproduit chaque fois qu’on parle du poème de l’Enfantement, n’empêchèrent pas deux papes, le regardant comme un ouvrage édifiant, d’envoyer des témoignages d’admiration à l’auteur. On a prétendu que Sannazar, encouragé par l’exemple de Bembo, avait osé aspirer à la pourpre romaine. C’est une erreur qu’il est facile de détruire en rappelant que Bembo ne reçut le chapeau qu’en 1539, c’est-à-dire neuf ans après la mort de Sannazar. Son poème, qui n’a que trois chants, lui avait coûté vingt ans de travail : chaque vers était soumis à l’examen de Poderico, vieillard vénérable, devenu aveugle, mais d’un jugement sûr, et Sannazar était souvent condamné à refaire dix fois le même vers avant de réussir à contenter cet aristarque. Cet excès de sévérité pouvait ôter à l’ouvrage cette spontanéité qui est le mérite principal d’un poème. Cependant en lisant ces vers, si péniblement travaillés, on est étonné de n’y rien apercevoir qui annonce la contrainte. Ce poème, qui avait obtenu les éloges de Léon X, auquel il était destiné, ne parut que sous les auspices de Clément VII, qui en fit également témoigner sa satisfaction à l’auteur. Ces marques d’estime que Sannazar recevait de la cour de Rome ne suffisaient pas pour étouffer son ressentiment contre Alexandre VI et César Borgia, regardés par lui comme les instruments principaux de la chute des Aragonais. Les épigrammes dont il les accabla lui ont fait attribuer à tort un caractère haineux. Les traits lancés contre Politien partaient de la main qui avait juré une amitié éternelle à Marulli, auquel le favori des Médicis ne pardonnait pas de lui avoir enlevé sa maîtresse. Si l’on excepte les épigrammes contre les papes et le duc de Valentinois, on rencontre dans les écrits de Sannazar bien peu de pages qui puissent justifier cette assertion calomnieuse. Ce qu’on a dit de sa rancune contre le prince d’Orange n’est pas moins inexact. Sannazar, qui cessa de vivre en avril 1330, ne pouvait pas se réjouir de la mort de ce général, tué le 3 août suivant (Voy. ORANGE). Il était naturel qu’il fût mal disposé coutre le destructeur d’une maison de campagne à laquelle il était attaché par les plus touchants souvenirs, bien différent de la plupart des hommes en faveur, Sannazar ne se laissa jamais éblouir par la protection que son roi lui accordait. Il vivait auprès de lui plutôt en ami qu’en courtisan. Malgré

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toutes les calamités auxquelles il se trouva exposé sur le retour de l’âge, il sut conserver cette tranquillité d’âme, cette égalité de caractère, dont on aime à reconnaître l’empreinte dans tous ses ouvrages. Sannazar a chanté avec le même transport les amours des bergers et les occupations des pécheurs, et pourtant l’Arcadia est l’ouvrage de sa jeunesse et les Eglogues un des fruits de son âge mûr. Par la première, il releva la poésie italienne de l’état de langueur où l’avaient jetée les froids imitateurs de Pétrarque ; et il donna dans les autres un modèle achevé d’un nouveau genre de poésie à peine soupçonné par les Grecs et entièrement inconnu aux Latins. Ses Eglogues pescatoris sont la source à laquelle on a puisé dans la suite, toutes les fois qu’on a voulu retracer les travaux et les mœurs des pécheurs. Sannazar, qui écoutait presque avec impatience les éloges prodigués à l’Arcadia, se glorifiait lui-même d’avoir été l’inventeur de la poésie maritime (Voy. ROTA). On a pourtant cherché à répandre des doutes sur l’originalité de ces Eglogues, en leur opposant une idylle de Théocrite (la 21e), qui se rapproche du genre sans en avoir les caractères : car les personnages n’ont de pécheurs que le nom, tandis que Sannazar déroule le tableau complet de la vie d’une classe d’hommes échappés à l’observation de l’antiquité. Il faut pardonner à Fontenelle le reproche qu’il lui adresse d’avoir fait un mauvais échange des bergers avec les pécheurs. Il est bien permis à un habitant de Paris de ne pas concevoir le charme que l’on éprouve, étant à Naples, à suivre de l’œil ce peuple de bateliers, empressés à gagner le rivage pour y déposer leur proie, y étendre leurs filets et se délasser de leurs travaux. Il ignorait, sans doute, l’effet ravissant de ces groupes balancés sur les vagues argentées d’une mer que la tempête embellit comme le calme. Il existe un si grand nombre de réimpressions des œuvres de Sannazar, que ce serait une témérité de vouloir les indiquer toutes : nous nous bornerons à faire quelques remarques sur les plus estimées. 1e Arcadia, Venise, Vercellese, 1502, in- 6°, très-rare, mais dont on a eu tort de douter, car elle est citée dans le Catalogue de la bibliothèque Capponi. C’est la première édition de l’Arcadia exécutée sans l’aveu du poète, qui se plaignit même de cette publication prématurée. L’Arcadia fut réimprimée à Naples, en 1504, par Summonte, ami de l’auteur, et cette édition a servi de modèle à toutes les autres. Cet ouvrage est un mélange de prose et de vers à la manière de l’Ameto de Boccace, qui a été le premier à écrire dans ce genre. Sannazar y fit usage d’une espèce de vers que les Italiens appellent sdruccioli et qu’on pourrait nommer dactyles, dont il n’a pas été l’inventeur, comme on l’a cru, mais qu’il a maniés avec beaucoup de facilité et de goût. Il empruntait des mots sdruccioli à la langue latine toutes les fois qu’il n’en trouvait pas de convenables en italien,