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maréchal de Saxe les charges de cavalerie si nombreuses, si décousues et si meurtrières qu’il ordonna contre la colonne anglaise, sans l’entamer. Il est aussi curieux qu’équitable d’entendre ce grand capitaine répondre lui-même à ce reproche :

« (1)[1] Tant que l’ennemi n’avait pas pris
« Fontenoy, ses succès dans le centre lui étaient
« désavantageux, parce qu’il manquait d’un point d’appui. Plus il marchait en avant, plus il exposait ses troupes à être prises en flanc par les Français, qu’il laissait derrière lui. Il était donc essentiel de le contenir par des charges réitérées, qui donnaient d’ailleurs le temps de disposer l’attaque générale, dont dépendait la victoire (2)[2]. »

Toutes les voix se sont réunies pour reconnaître le prodigieux effet des quatre pièces de gros calibre sur cette formidable colonne anglaise ; mais on n’est pas aussi bien d’accord sur le nom de celui qui donna l’heureuse idée de les employer (3)[3]. Voltaire et d’autres écrivains n’ont rien négligé pour en faire honneur au duc de Richelieu, qui tenait lui-même cette idée, a-t-on dit, du comte de Lally, si célèbre par sa fin tragique (voy. LALLY). Dès que la victoire fut assurée, le roi remercia le maréchal dans les termes les plus flatteurs et lui fit l’honneur de l’embrasser, en le pressant d’aller prendre quelque repos. Maurice en avait un besoin extrême : pendant toute la bataille, il avait tenu une balle de plomb dans sa bouche pour apaiser l’ardeur de sa soif, que l’hydropisie ne lui permettait pas de satisfaire. Louis XV lui donna pour le récompenser la jouis

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sance du château de Chambord, avec quarante mille francs de revenu sur le domaine. Malgré son état de souffrance, le maréchal ne quitta point l’armée. Il termina cette brillante campagne par la prise d’Ath, et feignit de prendre ses quartiers d’hiver à Gand ; mais déjà il méditait un grand projet : c’était de s’emparer de la capitale des Pays-Bas par un coup de main hardi. Il se met en marche : personne, dans son armée même, ne soupçonnait où il la conduisait ; il fond tout à coup sur Bruxelles et l’attaque avec tant de vigueur, qu’au bout de quelques jours il force la place à se rendre. La capitulation fut signée par le prince de Kaunitz, qui joua plus tard un si grand rôle. Le vainqueur fut mandé à Versailles : depuis son camp jusque-là, sa route fut un triomphe continuel (1)[4]. Le roi et toute la famille royale le comblèrent de témoignages d’affection et d’estime. Quand il vint à l’Opéra, l’actrice qui, dans le prologue, jouait le rôle de la Victoire, lui offrit sa couronne, au milieu des transports du public. Avant de repartir pour l’armée, le maréchal de Saxe fut déclaré Français par des lettres de naturalité, Louis XV étant arrivé à Bruxelles le 4 mai 1746, le maréchal ouvrit aussitôt la campagne. Son plan était vaste : il voulait rejeter les alliés sur la rive droite de la Meuse, où le défaut de vivres devait les éloigner de Namur. L’armée que commandait le prince de Conti ayant été fondue dans la sienne, il exécuta de grandes et savantes manœuvres qui eurent tout l’effet désiré. Elles sont encore d’autant plus admirées des militaires qu’aucun général avant lui n’avait pu réussir à déposter son adversaire de la Méhagne. Cédant toujours le terrain a l’approche des Français, les alliés se déterminèrent enfin à les attendre dans l’excellente position de Rocoux, près de Liège. Le maréchal résolut de les en débusquer encore ; mais il ne se dissimulait pas les difficultés de l’entreprise. On peut en juger par l’ordre suivant qu’il envoya aux commandants des divisions : « Que les attaques réussissent ou non, les troupes resteront dans la position où la nuit les trouvera, pour recommencer au jour à se porter sur l’ennemi. » Quelques heures suffirent pour assurer la victoire (11 octobre 1746) : elle fut complète (2)[5]. Les alliés perdirent 8,000 hommes et 50 pièces de canon. Ils allèrent se retrancher sous le canon de Maestricht. Le vainqueur, après avoir pourvu à la sûreté de ses quartiers d’hiver, se rendit à la cour, qui était alors à Fontainebleau. Le roi le nomma maréchal général de ses armées : Turenne seul avait porté ce titre. Le mariage du Dauphin avec une princesse de Saxe

  1. (1) Entretien du marchal de Saxe avec le baron d’Espagnac, son historien, t. 2, p. 59 et 60.
  2. (2) Cette explication, donnée longtemps après l’événement, est loin de pouvoir satisfaire à toutes les objections. D’abord ces charges ne furent pas même ordonnées par le maréchal, mais par les chefs de corps qui les firent exécuter spontanément, sans ensemble, et lorsqu’il n’y avait réellement pour eux pas autre chose à aire que de fuir en désordre, ou d’attaquer ainsi avec gloire, mais sans espoir de succès. L’attaque définitive qui, après tant de pertes et de revers, fit enfin changer la fortune, ne fut également ordonnée et conduite que par des chefs de corps ou par des commandants de division. Ainsi l’on peut dire, exactement, que la victoire, dans cette journée mémorable, fut principalement due à l’intelligence et au courage du officiers et des soldats ; mais les militaires savent combien de pareils mouvements, contraires à la discipline et au bon ordre, peuvent amener de résultats fâcheux. Il faut bien convenir que Louis XV contribua à cette victoire autant qu’il pouvait le faire par son courage et par sa persévérance à rester avec son fils au milieu du danger, qui était certainement très-grand, et que le maréehal de Saxe voyait bien lorsqu’il le fit prier, à plusieurs reprises, de repasser l’Escaut, dans le même moment où il donnait des ordres pour qu’on évacuât le village d’Antoing. Si l’un de ces deux mouvements eût été exécuté, il est certain que la bataille était perdue sans ressource. Le centre de l’armée française avait été enfoncé ; ses deux ailes étaient sans appui, avec une rivière et une garnison ennemie derrière elle. La faute plus considérable commise en cette journée était de n’avoir pas suffisamment garni le centre de la position. Si l’ennemi avait attaqué sur ses ailes, dans le bois de Barri, à Fontenoy et à Antoing, avec la même vigueur qu’il le fit au centre, tout était perdu dès le premier choc. Mais il faut dire que le maréchal de Saxe était dans un état de maladie et de souffrance tel qu’il lui fut impossible de veiller à tout, et que, hors d’état de parcourir d’avance le champ de bataille, il n’avait pu faire les dispositions en conséquence de cet examen nécessaire. M-n j.
  3. (3) Des militaires qui ont vécu dans l’intimité du maréchal de Saxe et écrit sous ses yeux. se contentent de dire que ce fut un capitaine au régiment de Touraine, nommé Isnard, qui indiqua où étaient ces quatre pièces, et qu’elles furent amenées sur le terrain pue le chevalier de Montazet, aide-major de l’infanterie.
  4. (1) Lorsqu’aux barrières de la capitale il fit arrêter ses équipages, les employés des fermes refusèrent de les visiter, et le chef de poste lui dit ce mot souvent cité : « Monseigneur, les lauriers ne payent point. »
  5. (2) C’est cette bataille qui fut annoncée la veille, au spectacle du camp, par un couplet de Favart, qui se trouve dans tous les mémoires du temps (voy. l’article FAVART et celui de sa femme).