Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 43.djvu/10

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d’esprit et de témérité. Le résultat fut pour lui de connaître le point accessible, et il feignit de croire qu’il y en avait d’autres, afin de diviser et de lasser la garnison. Malgré cette ruse, il lui fallut, pour prendre la place, épuiser toutes les ressources de son art. C’est à ce siège qu’il inventa les cavaliers des tranchées, qu’il changea la marche des sapes et la rendit plus sûre et moins coûteuse ; car il pensait toujours à ménager le sang du soldat. Luxembourg pris, Vauban fit des travaux pour en augmenter la défense et en assurer la conservation. Il fallait ensuite déterminer le site d’une nouvelle forteresse qui rendît maître du cours de la Moselle, dominât plusieurs défilés et commandât au pays ; en un mot une forteresse offensive. Vauban visite les lieux, choisit un site qui réunit toutes les conditions désirées, et Mont-Royal est construit. Il manque cependant encore une place pour couvrir l’angle de l’Alsace et de la Sarre et fermer les défilés des Vosges : Landau est créé pour remplir ce double objet. Vauban construit en même temps le fort Louis dans une île du Rhin. Concurremment à ces travaux, il faisait élever le magnifique aqueduc de Maintenon, pour recevoir l’Eure, qui devait être divisée afin d’arroser Versailles, monument d’une entreprise qu’on n’acheva pas. Toujours occupé des intérêts du royaume, de sa gloire et du bien de l’humanité, il s’élève à de hautes considérations, embrasse d’un coup d’œil les côtes, les ports, les rades, leurs besoins, leurs ressources, et rédige un projet général de défense et d’amélioration, projet vaste et qui ne pouvait être exécuté qu’avec le temps, mais qui, traçant la marche à tenir, signalant les points sur lesquels l’attention devait être toujours éveillée, était utile même avant l’exécution, parce que, suivant les occasions et les besoins, on pourrait toujours le consulter avec fruit. En parcourant ainsi la France, il conférait avec les gouverneurs et les intendants, provoquait leur zèle, laissait des tableaux à remplir, pour connaître le dénombrement des provinces, et semait ainsi les éléments d’une statistique du royaume. Le ministre accueillit cette idée et prescrivit des mesures analogues pour les colonies. Un des plus beaux monuments du siècle de Louis XIV venait d’être construit dans le Midi : c’était le canal de la jonction des deux mers, projet hardi et sublime conçu par Riquet (voy. Rincer). Vauban alla visiter ce magnifique canal (1686). À sa vue, il s’écria que c’était le plus grand et le plus bel ouvrage de ce genre qu’on eût entrepris. Langage noble, qui fait voir combien ce grand homme était au-dessus de l’envie. Étant consulté, il proposa des perfectionnements que le roi fit exécuter. La simple énumération des travaux de Vauban dépasserait les bornes qui nous sont prescrites. L’indication des progrès qu’il a fait faire à l’art dont il peut étre regardé comme le créateur demande le concours d’une plume exercée et d’un homme consommé dans a connaissance de cet art. C’est à ce double titre que nous allons laisser parler Allent : « Louis XIV fait construire trente-trois places neuves et bâtir de nouveaux ouvrages dans trois cents forteresses (1661-1705) : Vauban dirige ces immenses travaux. Un meilleur relief, un tracé plus simple, des dehors plus vastes et mieux disposés, telles sont les seules modifications qu’il ait faites d’abord dans le système en usage. Deux grandes idées brillent toutefois parmi ces améliorations, celles de placer des lunettes et des ouvrages a corne au delà du glacis et de construire des camps retranchés sous les places. Mais c’est dans les applications qu’il révèle une science peu connue jusqu’à lui, celle de tirer du sol même et des eaux une défense simple et peu coûteuse, et cet art plus grand de coordonner les places à la nature du terrain, à celle du pays, aux routes de terre et d’eau, aux opérations offensives et défensives des armées ; en un mot, de donner aux États des frontières. Vauban tâcha de ramener la défense et l’attaque à cet équilibre, détruit au 15e siècle par l’invention des bouches à feu, rétabli dans le 16° par la fortification moderne, et que venaient de rompre « une seconde fois le nouvel art des siéges, le ricochet, les progrès de l’artillerie et cet usage introduit par Cohorn, au second siége de Namur (1693), de traîner devant une place jusqu’à trois cents bouches à feu. Aux ravages de la bombe et du ricochet, il oppose des souterrains et, comme à Béfort, des traverses voûtées. Dans ses forts sur les côtes, dans les redoutes de Luxembourg et dans les tours bastionnées de ces dernières places, il abrite sous des casemates quelques feux de canon ou de mousqueterie. Au lit de la mort (1707), il dicte son Traité de la défense et montre tout ce que la prévoyance dans les approvisionnements des travaux additionnels et surtout un sage emploi de l’artillerie, des mines, des eaux et des troupes peuvent ajouter de force et de valeur aux fortifications. » La guerre ayant recommencé, on voulut préluder à la campagne par l’attaque de Philisbourg, dont Vauban avait augmenté les fortifications en 1676. Il allait pour ainsi dire combattre contre lui-même. Secondé de quarante ingénieurs, il dirige les attaques. La place ne se rendit qu’après vingt-deux jours de tranchée ouverte. Dix ingénieurs furent tués et quatorze blessés : c’étaient les plus instruits. Vauban resta chargé presque seul de cette périlleuse entreprise. « Dieu nous le conserve, écrivait un des généraux à Louvois ; car il n’y a que lui capable d’approcher une place comme celle-ci. » Louis XIV, sachant qu’un mot de sa main serait la récompense la plus flatteuse pour Vauban, lui témoigna par écrit sa satisfaction : « Vous savez, il y a longtemps, lui dit-il, ce que