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voulant en faire le boulevard de l’État contre les Espagnols qui possédaient l’Artois, jugea Vauban propre à seconder ses vues. Il lui confia le projet des ouvrages et la direction des travaux nécessaires pour l’exécuter. Vauban justifia ce choix et sut concilier les intérêts du commerce avec la défense des places, au moyen d’un canal de communication qui pouvait au besoin remplir ce double objet. La guerre ayant recommencé en 1667, Vauban réduisit à capituler la plupart des places de la Flandre. Après avoir disposé les travaux de Cherbourg qu’il était chargé de fortifier, il passe à Douai. Une balle le frappe à la joue et lui laisse une cicatrice honorable, que le Brun et Coysevox ont su reproduire, le premier dans le portrait, et le second dans le buste de ce grand homme. Cette blessure ne l’empêche point de conduire le siège de Lille. Louis, témoin de ses succès, le nomma lieutenant de ses gardes, ajoutant à cette faveur une pension, et, ce que Vauban estimait davantage, un éloge public. Quelque glorieuses que fussent ces conquêtes, le roi n’y mettait de prix qu’autant qu’elles seraient durables : l’art de les conserver, en améliorant les places fortes enlevées à l’ennemi, et en lui opposant de nouvelles barrières, fut confié à Vauban. Ses talents et leur heureux emploi lui avaient déjà donné une telle célébrité, que rien en ce genre ne se faisait, ne se projetait même, sans qu’il fût consulté. Juge de ses maîtres, il est appelé par Louvois à donner son avis sur les projets de Clerville et de Mesgrigny pour prendre les places de la Franche-Comté, conquête aussi rapide que glorieuse. Chargé de tous les travaux de la Flandre, Vauban fut nommé gouverneur de Lille. C’est alors qu’il fit construire le plan en relief de cette place et de la citadelle, chef d’œuvre de l’art, qui fut envoyé au roi[1], et placé dans la galerie du Louvre. Autour de ce relief, le premier de tous, se groupèrent, dans un court espace de temps, les plans des autres places. Telle est l’origine de cette belle galerie de plans en relief qu’on voit aux Invalides. Le mérite et les talents de Vauban étaient devenus si précieux, que sa présence eût été nécessaire à la fois sur tous les points. Pendant qu’il créait la frontière du Nord, Louvois lui donnait l’ordre de visiter les places du Midi. Ce ministre, étant chargé d’une négociation auprès du duc de Savoie, l’emmena avec lui ; et il étudia les places de Verrue, Verceil, Turin, Pignerol, et fit des plans pour les fortifier. Il retourna bientôt en Flandre et poursuivit les travaux de Dunkerque avec une infatigable activité. Trente mille hommes y furent employés : Louis XIV fut témoin de l’ordre merveilleux qu’il établit. Les troupes passaient successivement du camp aux travaux, des travaux au camp : on se relevait de quatre en quatre heures, sans qu’il y eût le moindre trouble. Vauban ne se contentait pas de pratiquer son art ; sans cesse il lui faisait faire de nouveaux progrès ; enfin il le porta bientôt à sa plus grande perfection. Le système des inondations, ce grand moyen de défense, était incomplet et nuisait même souvent à ceux qu’il devait garantir ; Vauban en fit disparaître tous les inconvénients et il en augmenta l’utilité. Attentif aux moyens de conserver les hommes, il ménagea entre l’inondation et la place de vastes terrains, où l’on pouvait pendant le siège cultiver des légumes et faire paitre des bestiaux. Il parvint en outre à tenir à volonté les fossés secs ou pleins d’eau. Au milieu de ces travaux, Louvois l’invita à rédiger son système sur l’attaque des places ; et ce fut ce qui lui donna occasion de composer le Mémoire pour servir instruction dans la conduite des sièges, titre de son premier ouvrage. Il y signale les fautes commises jusqu’à lui, indique les moyens de les éviter, et propose d’heureuses innovations, telles que le développement des tranchées, les feux croisés, l’usage du canon pour commencer la brèche, et celui des boulets creux pour disperser les terres. Il termine en établissant la nécessité de consacrer une troupe spéciale pour le service du génie et pour les travaux des sièges. Lorsque les Hollandais formèrent, en 1673, une ligue contre Louis XIV, ce monarque transporta chez eux le théâtre de la guerre, et suivit son armée, accompagné de Vauban, qui dirigea les principaux sièges et fit raser ou fortifier les places conquises. L’année suivante, Maëstricht étant menacé, le prince d’Orange accourut pour garantir cette ville ; mais elle venait d’être investie quand il arriva : on fit plusieurs projets d’attaque ; celui de Vauban fut préféré. Contre l’usage, qui mettait les travaux sous les ordres de l’officier général de tranchée, il fut exclusivement chargé de leur direction, ne recevant d’ordres que du roi. C’est devant cette ville qu’il inventa le système des parallèles et qu’il fit subir à la théorie des attaques d’utiles modifications. Le treizième jour la place capitula. Son importance attira toute l’attention du créateur de la défense des places : pour conserver celle-là, il fit un projet vaste, admiré du grand Condé. Mais pendant qu’il mûrissait ce plan, on avait besoin de lui pour prendre Trèves. Faisant marcher de front les méditations lentes du génie et l’activité de l’exécution, il court sous les murs de cette ville, reconnaît les fortifications, trace le plan d’attaque, et sans attendre la reddition dont il avait déterminé l’époque, va rejoindre le roi, qui le demandait pour visiter les places de la Lorraine et de l’Alsace. Les alliés de Louis XIV sentirent alors qu’en l’aidant à accroître sa puissance, ils finiraient par se donner un maître : ils l’abandonnèrent, et le monarque se vit forcé de renoncer

  1. Ce premier plan fut fait par un nommé Sauvage. En 1816, les Prussiens, au mépris des conventions, enlevèrent vingt-et- un reliefs qui étaient ceux des places de la frontière, depuis Dunkerque jusqu’au Fort-Louis sur le Rhin.