Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 44.djvu/8

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sait par ses lois. S’étant relevée avec éclat, après chute des Tartares, elle jouissait paisiblement de l’opulence que lui procurait son commerce dans tous les ports de la mer Noire. Les habitants paraissaient résolus de se défendre jusqu’à la dernière extrémité; mais ils avaient parmi eux un traître, appelé Anastase, qui lança le camp russe une flèche avec ces mots: "cherchez derrière vous, vers l’orient; vous y trouverez des canaux qui fournissent l’eau à la ville." Cet avertissement n’arriva que trop bien à son adresse ; et peu après, les habitants, épuisés de soif, se soumirent à Vladimir. Ayant fait son entrée dans Cherson, il envoya déclarer aux empereurs grecs, Basile et Constantin, qu’il voulait avoir pour épouse la jeune princesse Anne, leur sœur, et qu’en cas de refus il marcherait sur Constantinople. Les deux empereurs, effrayés, répondirent que s’il se faisait chrétien, il pourrait devenir leur beau-frère. Vladimir répliqua qu’il avait pris de lui-même la résolution d’embrasser le christianisme, mais que, ne prétendant pas en faire une condition de son mariage, il demandait qu’avant tout on lui envoyât la princesse. Anne fut frappée de frayeur en se voyant forcée de donner sa main à un prince que l’on disait sauvage et féroce; mais la politique exigeait d’elle un grand sacrifice. Elle s’embarqua avec des ecclésiastiques grecs, une suite nombreuse, et fut reçue à Cherson avec les démonstrations de la joie la plus vive. Les habitants la regardèrent comme un ange descendu du ciel pour les protéger. Si l’on en croit les chroniques du temps à son arrivée, le fier Vladimir avait une maladie qui s’était jetée sur ses yeux avec tant de violence, qu’il ne pouvait plus distinguer les objets. D’après les exhortations de la princesse, il se fit baptiser, et recouvra la vue au même instant. Les cérémonies de son baptême furent achevées; et son mariage fut célébré dans l’église de St-Basile, bâtie sur la grande place de Cherson, entre le palais qu’occupait Vladimir et celui où Anne était descendue. Il prit le nom de Basile ou Vassili. La solennité de ce jour s’augmenta encore des cérémonies du baptême que reçurent dans la même église les boyards et les premiers officiers de l’armée. Vladimir, reconnaissant, envoya à Constantinople des troupes, par le moyen desquelles Basile vainquit le rebelle Phocas, et rétablit le calme dans l’empire. Le prince russe fit plus: ayant donné ordre de construire une église à Cherson, et renonçant à ses droits de conquête, il rendit la ville à la protection des empereurs grecs. Étant revenu à Kiow, accompagné des ecclésiastiques qu’Anne avait amenés avec elle de Constantinople, il fit briser et brûler les idoles. La statue de Péroune, attachée à la queue d’un cheval et battue de verges, fut jetée dans le Dniéper. Le lendemain, on publia que tous les habitants, quels que fussent leur âge et leur condition, devaient se faire baptiser. Au jour indiqué, le peuple se porta en foule sur les bords du Dniéper: et tous étant entrés dans le fleuve reçurent le baptême par aspersion. Vladimir, ayant construit une église en bols sur le lieu où était auparavant la statue de Péroune, manda des architectes grecs pour en ériger une autre en pierre sur l’endroit même où, six ans auparavant, Théodore et son fils avaient reçu la couronne du martyre. Des prétres grecs se répandirent dans les provinces pour y prêcher l’Évangile. Un grand nombre d’habitants se firent baptiser. D’autres restèrent attachés au paganisme, qui jusqu’au l2e siècle a régné dans quelques parties de la ltusale. Ne voulant pas pousser trop loin la violence envers ses sujets, Vladimir prit des mesures pour les éclairer. Les livres saints, qui, dans le 9e siècle, avaient été traduits en langue slavonne, par St-Cyrille et Méthode (1)[1] étaient certainement connus des chrétiens établis à Kiow. Mais ces fidèles étaient en petit nombre, et le peuple païen restait étranger à toute instruction. Vladimir fonda pour les jeunes gens, des écoles publiques, où l’on devait apprendre la langue sacrée ou liturgique. Ce bienfait parut alors une nouveauté si effrayante, que l’on fut souvent obligé d’employer la force pour conduire les enfants à ces écoles. Ou vit des mères, même dans les rangs élevés, pleurer sur le malheur de leurs enfants, considérant l’écriture comme un art dangereux, inventé par les sorciers. Vladimir, ayant partagé son empire en gouvernements, nomma son fils Yaroslaw son lieutenant à Novogorod, Yaiaslaw à Polotzk, Boris à Rostow, Gleb à Mourom, Swientoslaw dans le pays des Drzewliens, Vsewolod à Vladimir en Wolhynie, Mstislaw à Tmoutocokan, et Swientopelk, son neveu adoptif, à Tourow, aujourd’hui dans le gouvernement de Minsk. Ce partage, qui nous fait connaître l’étendue de l’empire agrandi par les conquêtes de Vladimir, entraina, après la mort de ce prince, les suites les plus funestes. En envoyant ses fils dans leurs apanages, il leur donna, il est vrai, de sages conseillers. Cependant, dès son vivant même, il eut la douleur combattre contre l’un d’eux. Résolu de protéger la Russie méridionale contre les incursions des Pieczyngowiens (2)[2], il fonda sur la Desna, l’Oster, le Troubége, la Soula et la Strou-

(1) Depuis Vladimir les Russes ont deux langues: l’une est le russe vulgaire, l’autre est la langue savante, ecclésiastique ou liturgique. C’est dans la première que parurent, ou du temps de Vladimir ou peu après lui, le code qui porte son nom, le poëme héroïque sur les exploits, d’lgor, et les romans de la chevalerie russe. La langue savante créée par les deux missionnaires slaves, est le dialecte de Thessalonique, mélé avec l’illyrien et le slavo-servien. C’est dans cette langue que la Bible a été apportée en Russie et que sont écrits leurs livres liturgiques. Afin d’en faciliter l’étude Pierre le Grand fit publier, par Théodore Polycarpe, directeur de l’imprimerie impériale, un dictionnaire, dans lequel elle est expliquée en grec et en latin, Moscou, 170, in-4o. On a imprimé à Moscou en 1794, un autre dictionnaire, où la langue liturgique que Nestor, le père de l’histoire russe, a écrit sa chronique.

(2) C’est ainsi que s’écrit en slavo-russe le nom de ses anciens peuples, qui sont les Cosaques d’aujourd’hui. Le mot Petchnégue, usité chez les auteurs byzantins et adopté dans la traduction de Karamsin, n’est point exact.


  1. (1) Depuis Vladimir les Russes ont deux langues: l’une est le russe vulgaire, l’autre est la langue savante, ecclésiastique ou liturgique. C’est dans la première que parurent, ou du temps de Vladimir ou peu après lui, le code qui porte son nom, le poëme héroïque sur les exploits, d’lgor, et les romans de la chevalerie russe. La langue savante créée par les deux missionnaires slaves, est le dialecte de Thessalonique, mélé avec l’illyrien et le slavo-servien. C’est dans cette langue que la Bible a été apportée en Russie et que sont écrits leurs livres liturgiques. Afin d’en faciliter l’étude Pierre le Grand fit publier, par Théodore Polycarpe, directeur de l’imprimerie impériale, un dictionnaire, dans lequel elle est expliquée en grec et en latin, Moscou, 170, in-4o. On a imprimé à Moscou en 1794, un autre dictionnaire, où la langue liturgique que Nestor, le père de l’histoire russe, a écrit sa chronique.
  2. (2) C’est ainsi que s’écrit en slavo-russe le nom de ses anciens peuples, qui sont les Cosaques d’aujourd’hui. Le mot Petchnégue, usité chez les auteurs byzantins et adopté dans la traduction de Karamsin, n’est point exact.