Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 45.djvu/608

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
ZOR ZOR 594


sous Nínus ou sous Cyaxare Ier les événements empruntés à l’histoire de leur règne ? Non, ils les transporteront hardiment aux temps de Darius Ier, soit qu’ici ils s’abusent par l’identité des noms (Cyaxare Ier est aussi appelé Darius le Mède), soit que leur légèreté habituelle et leur insouciance du vrai les conduisent naturellement au mensonge plutôt qu’à la vérité. C’est donc en vain que Volney, tirant avec rigueur les conclusions des prémisses qu’il a posées, décide qu’Ardjasp est Nínus et Gustasp Oxuarte. Quant au système qui recule Zoroastre dans les ténèbres d’une antiquité indéfinie, et selon quelques-uns antédiluvienne, il est impossible de l’admettre si l’on songe au contenu du Zend-Avesta, à la répétition fréquente du nom de Gustasp, qui ne saurait y avoir été interpolé tant de fois, aux préceptes qui prouvent une civilisation et une sociabilité déjà avancées, aux traces nombreuses et évidentes de judaïsme que tous les commentateurs y ont remarquées. Songe-t-on d’ailleurs que le Zend-Avesta contenait vingt et un livres, masse énorme, et que, lors même qu’avant le déluge quelques hommes privilégiés auraient connu l’écriture, il eût été impossible, avec les âpres et peu flexibles instruments qu’on employa longtemps pour peindre la pensée, de buriner une aussi considérable série d’ouvrages ? Il faut donc en revenir au sentiment de ceux qui font de Zoroastre le contemporain du grand Darius. Que ce prince se soit ou non nommé Hvstaspe, toujours est-il très-probable que toute la dynastie à laquelle il transmit le trône fut connue dans l’Asie sous le nom d’Hystaspides ou Hystaspes. Ainsi, dans la suite, le premier Ptolémée fut souvent désigné par le nom de Lagus, qui était celui de son père. Ainsi, plus tard encore, on dit les Arsacides ou les Arsaces. D’ailleurs, et cette raison est péremptoire, le nom de Gustasp se trouve dans la liste des rois de Perse selon les Orientaux, et quelque fautive, quelque défectueuse que soit cette liste, il nous semble qu’on peut aisément la ramener à celle que donnent les Grecs. C’est ce que l’explication suivante rendra indubitable. En effet, selon l’opinion la plus reçue chez les Orientaux, deux cent soixante-huit ans séparent l’avènement de Gustasp de la conquête totale de la Perse par Alexandre : or, les Grecs ne comptent que deux cent six ans d’intervalle entre ces deux événements. La cause de cette différence est un double emploi de soixante-deux ans, double emploi occasionné par la réunion de deux Artaxercès en un seul personnage. Il résulte de là qu’écrivant longtemps après les événements, au milieu d’un pays dénué de bonnes traditions et sans livres, sans documents quelconques, ceux qui s’imaginèrent de refaire sous les califes l’histoire ancienne de la Perse ne purent réunir que quelques noms : ces noms sont justement ceux qu’il a été impossible d’oublier, Hystaspe ou Gustasp, en quelque sorte fondateur de la monarchie, Darius ou Darab, qui en est dépossédé par Iskander, et Artaxerce ou Ardechir. Deux princes de ce nom avaient occupé le trône, l’un quarante et un ans, l’autre quarante-six, et avaient dû laisser de profonds souvenirs. Quant à la reine Homaï, nous ne savons où les mahométans ont pu trouver mention de cette princesse, dont ne parle aucun historien grec. À présent que l’on réunisse d’une part les années des deux Artaxerces avec celles de Xercès II, de Sogdien et de Darius Ochus, qui séparent le premier du second, et de l’autre celles d’Ochus, d’Arsès et de Darius Codoman, on aura ici trente-trois, là cent quinze ans, total cent quarante-huit. Or, les cent douze années du règne d’Ardechir-Bahman, jointes à trente-six que donnent ensemble les règnes d’Homaï et de Darab, composent aussi un laps de temps de cent quarante-huit ans. Reste le commencement de la dynastie représenté par un seul prince, Ke-Gustasp, et par cent vingt années. Ce chiffre se trouve à peu de chose près le résultat des règnes amoncelés de Darius Ier (37 ans), de Xercès Ier (21), d’Artaxerce Ier (41), de Xercès II (2), de Sogdien (7), et de Darius Ochus (19). Il est donc évident que les quatre derniers règnes sont comptés deux fois et compris d’abord dans le règne de Gustasp, ensuite dans celui d’Ardechir-Bahman ; et l’erreur a dû être d’autant plus facile pour des historiens sans instruction et sans critique, qu’ils partaient de deux faits à peu près incontestables, ainsi exprimés : 1o de Ke-Gustasp à Ardechir (Artaxerce ll) il y a 129 ans (en réalité 120) ; 2e d’Ardechir (ici c’était Artaxerce 1er ) à la mort de Darab il y en a 148. Ceci posé, on peut demander sous lequel des six rois représentés par le nom de Gustasp vécut Zoroastre. Tout semble indiquer Darius Ier, qui effectivement eut des guerres aux extrémités orientales et occidentales de son royaume, et que l’histoire grecque, écrite cette fois par des contemporains, nous montre tantôt remettant sous le joug les Babyloniens révoltés, franchissant le Danube pour conquérir les plaines glacées de la Scythie, assujettissant les villes de l’Ionie, et tombant sur la Grèce ; tantôt tournant ses forces sur les provinces limitrophes de l’Inde, et en annexant des lambeaux à son empire. Tel est justement l’ensemble qu’offre la légende de Zoroastre : des démêlés avec le roi de Touran, et une invasion dans les Indes. Peu importe ensuite qu’à propos de ces démêlés ils amènent sur la scène un roi Ardjasp, qui peut-être ne fut pas réellement contemporain de Ke-Gustasp, et qu’ils amoncèlent des événements passés, les uns sous Ninus, les autres sous Cyaxare ler ; le fait central, authentique, qu’ils ont brodé à leur guise, ne s’en montre pas moins clairement. De plus, on sait que Darius pendant la longue durée de son règne donna le premier une constitution au vaste empire dont Cyrus n’avait point eu le temps d’être le législateur, et qui, pendant les règnes agités de Cambyse et du mage Smerdis, avait sans doute senti