assez forte et sonore, était un peu sèche, un peu sourde et rarement variée dans ses inflexions. Ses gestes trop en avant, comme ceux de Molé son maître, choquaient davantage, parce que ses bras étaient plus longs. On lui reprochait surtout de s’écarter trop souvent du ton de la nature pour prendre des manières précieuses ; et la richesse même de sa taille semblait être un obstacle à la grâce et à la vérité de ses développements. Aussi était-elle peu favorablement accueillie du public, qui, lui soupçonnant l’intention trop marquée de rivaliser avec mademoiselle Contat, ne lui rendait même pas toute la justice qu’elle méritait. Ce fut le 27 décembre 1792 que mademoiselle Candeille se plaça au rang des auteurs dramatiques en faisant représenter, sous le voile de l’anonyme, Catherine, ou la Belle Fermière, comédie en 3 actes, en prose, annoncée et refusée sous le titre de la Fermière de qualité, qui indiquait mieux le sujet et le principal personnage, mais que les circonstances politiques forcèrent de supprimer. Cette pièce, un peu romanesque et dont l’idée paraît empruntée au conte de la Bergère des Alpes, de Marmontel, eut une vogue prodigieuse, malgré les détracteurs de mademoiselle Candeille. Ils affectaient d’en attribuer la paternité, avec assez peu de vraisemblance, au célèbre conventionnel Vergniaux ; et, ne sachant pas, ou feignant d’ignorer que le second titre de l’ouvrage était une exigence des comédiens, ils le trouvaient d’autant moins modeste, que l’auteur, ajoutaient-ils, s’y était réservé le principal rôle, afin de recevoir des louanges directes sur sa beauté, son esprit, et sur la variété de ses talents en effet, elle y chantait en s’accompagnant tantôt sur la harpe, tantôt sur le piano, deux airs de sa composition, ainsi que celui du vaudeville final. Tout Paris alla voir la Belle Fermière, dont le succès s’est soutenu, et qui est constamment restée au courant du répertoire, parce que, au milieu de nombreuses invraisemblances, elle ne laisse pas d’offrir un style naturel et correct, de la gaieté, des contrastes de caractères et des situations intéressantes. Cette pièce a eu, depuis 1793, plusieurs éditions, et elle a été insérée dans tous les recueils et répertoires dramatiques. Aucun des autres ouvrages que mademoiselle Candeille a donnés au théâtre n’a obtenu le même bonheur. Bathilde, ou le Duo, comédie en 1 acte, où elle exécutait avec Baptiste aîné un duo de piano et violon, fut reçue avec une extrême froideur le 16 septembre 1793, et retirée peu de jours après. Au mois de novembre suivant furent célébrées des fêtes républicaines dans quelques églises qu’on avait transformées en temples de la Raison. Mercier, dans son Nouveau Tableau de Paris, prétend que mademoiselle Candeille y avait figuré avec d’autres actrices que la beauté de leurs formes fit choisir comme elle pour représenter les déesses de la Liberté, de la Raison, etc. Ce fait, répété sans examen dans l’Histoire du Théâtre-Français par M. Étienne, qui s’en est justifié, et par Martainville, et depuis dans la Biographie des hommes vivants, qui s’est rétractée dans son supplément, mademoiselle Candeille l’a toujours démenti comme contraire à ses principes et à la vérité. Il ne parait pas que d’autres femmes que l’épouse de Momoro et des figurantes de l’Opéra se soient montrées sur des chars, en divinités allégoriques. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’à cette époque désastreuse, mademoiselle Candeille, ainsi que tout ce qui composait le personnel des théâtres de la République, Favart, Feydeau, Louvois et Montansier, fit partie du cortége d’une fête funèbre en l’honneur de Marat et Lepelletier de St-Fargeau. Mais loin de leur reprocher cet acte d’obéissance passive et forcée au terrible gouvernement qui existait alors, il faudrait plutôt les plaindre de ce que leur profession les soumettait plus directement à l’influence des agents de la tyrannie révolutionnaire. Décente dans sa conduite ou du moins dans ses amours, mademoiselle Candeille avait toujours visé au mariage. Trois mois après la terreur (3 novembre 1794), elle épousa civilement un jeune médecin qui vit encore, et dont elle n’a jamais porté le nom. Cette union ne fut pas heureuse, et un divorce juridique la rompit le 13 février 1797, par consentement mutuel. Mademoiselle Candeille a pris grand soin de laisser ignorer au · public cet épisode qu’elle regardait comme le plus triste de sa vie, qu’elle aurait voulu oublier elle-même, et dont elle ne se proposait de parler que dans des mémoires qui ne devaient paraître qu’après sa mort ; mais, comme elle n’a pas eu le temps d’écrire ces mémoires, et qu’elle n’a pas laissé d’enfants de ce mariage ni des deux unions qu’elle contracta depuis, son secret ne doit plus être gardé. Ce fut pendant la durée de son premier hymen que mademoiselle Candeille risqua deux pièces au théâtre. Le Commissionnaire, comédie en 2 actes, en prose, fut représenté avec beaucoup de succès le 27 novembre 1794, par les comédiens français récemment sortis de prison, à leur salle du faubourg St-Germain, qui s’appelait alors théâtre de l’Égalité : c’était le trait historique du généreux Cange, commissionnaire de la prison de St-Lazare. L’auteur avait gardé l’anonyme, et l’on attribua la pièce au vicomte de Ségur ; mais Fleury ayant cru pouvoir nommer le véritable auteur, mademoiselle Contat, qui jouait un des principaux rôle, y renonça par haine contre sa rivale, et arrêta le cours des représentations. Cette comédie a été imprimée la même année sous le nom de J. Candeille. La Bayadère, ou le Français à Surate, comédie en 3 actes, en vers, fut impitoyablement sifflée le 24 janvier 1705, au Théâtre de la République, sans avoir été entendue, sans égards pour l’auteur qui représentait le principal personnage ; et pourtant cet ouvrage annonçait de l’imagination, du sentiment, le talent d’écrire ; mais les mots indiens trop prodigués sans être expliqués y jetaient de l’obscurité. D’ailleurs le public était prévenu contre la pièce et contre l’auteur, parce qu’on pardonne difficilement des prétentions mises trop à découvert. Une bayadère, belle, spirituelle, brillante de grâce et de talent, bonne, sensible, et qui plus est, malgré son état de danseuse, fière, chaste et vertueuse, parut un per-
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