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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 6.djvu/542

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sonnage invraisemblable, fantastique, et l’on trouva mauvais que l’actrice-auteur s’attribuât dans ce rôle tous ces genres de gloire, quand même elle y aurait eu des droits incontestables. Les fades éloges qu’elle s’y faisait prodiguer ne trouvèrent pas la même indulgence que ceux qu’on avait applaudis dans la Belle Fermière, et la pièce tombée n’a jamais revu le jour. Ce revers, les désagréments attachés à un état pour lequel mademoiselle Candeille ne s’était jamais senti une vocation bien marquée, ceux qu’elle avait éprouvés de la part de quelques-uns de ses camarades, la déterminèrent à renoncer au théâtre qu’elle pouvait alors quitter sans danger, et à prendre dans le monde un rang plus convenable à l’élévation de sentiments dont elle a toujours fait profession. Elle abandonne même Paris ; et, pendant son instance en divorce (1796), elle parcourut la Hollande et la Belgique, où elle donna des représentations et des concerts. Elle connut à Bruxelles le chef d’une célèbre fabrique de voitures, Jean Simons, qui étant venu depuis à Paris, en 1788, pour empêcher le mariage de son fils, Michel Simons, avec mademoiselle Lange, actrice du Théatre-Français (voy. Lange), revit mademoiselle Candeille, l’épousa le 11 février, et ne s’opposa plus aux vœux de son fils. On prétend que cette aventure a pu fournir le sujet d’une pièce d’Andrieux, la Comédienne. Madame Simons-Candeille avait en quelque sorte pris les rênes d’une maison à peu près ruinée par les faillites de l’émigration. L’aliénation mentale de son mari ayant hâté la décadence de cet établissement, elle fut obligée de se prêter, en 1802, à une séparation volontaire, consentie par les enfants de Simons. Elle leur abandonna, ainsi qu’aux créanciers de leur père, son douaire, ses reprises, ne se réservant que ses deniers dotaux. De retour à Paris auprès de son père veuf et sans place, madame Simons-Candeille, pour le soutenir, se fit institutrice, et pendant dix ans elle donna des leçons de musique et de littérature. Ce fut à cette époque qu’elle forma des liaisons d’amitié avec Girodet et Méhul ; il en est résulté avec le célèbre peintre une correspondance dont la publication attendue pourra offrir de l’intérêt[1]. Elle se brouilla avec le compositeur, parce qu’elle refusa d’être le prête-nom d’une partition qu’il voulait opposer aux succès de madame Gail (voy. ce nom), dont il était jaloux. En 1807, elle fit représenter, au bénéfice de son père, sur le théâtre Feydeau, Ida, ou l’Orpheline de Berlin, comédie lyrique en 2 actes, dont elle avait fait les paroles et la musique, et qui n’eut que cinq ou six représentations, parce que le sujet, traité avec plus de succès au Vaudeville par Badet (voy. ce nom), n’était plus capable d’exciter la curiosité. Le dernier ouvrage dramatique de madame Simons-Candeille fut Louise, ou la Réconciliation, drame en 4 actes et en prose, tombé au Théâtre-Français, le 15 décembre 1808, au bruit des sifflets de l’école Polytechnique[2]. De ce moment, le spectacle fut interdit aux élèves de {{}}1re classe de cette école, les jours de première représentation ; mais de ce moment aussi madame Candeille, cessant de travailler pour le théâtre, se livra au genre des romans. Elle leur dut des succès plus certains et plus constants, et néanmoins ils seront plus vite oubliés peut-être que sa Belle Fermière. Ses journées employées aux devoirs d’institutrice et ses veilles consacrée aux travaux littéraires suffisaient à peine à son existence et à celle de son père. Elle avait réclamé des secours. Touché de ses efforts et de ses infortunes, Gretet, ministre de l’intérieur, sollicita pour elle, dans un rapport à l’empereur, une pension de 1, 500 francs. Napoléon, qui accordait peu aux vieillards, avait oublié l’auteur de Castor et Pollux ; et, comme il se piquait de connaître mieux qu’un préfet de police l’intérieur des familles, il déchire la feuille et allégua, pour raison morale de son refus, qu’il ne fallait pas autoriser les femmes à se passer de leurs maris. Peu satisfaite de Napoléon, madame Simons accueillit en 1814 la restauration ; mais un écrit politique, qu’elle était au moment de publier en mars 1815, l’ayant obligé d’aller en Angleterre pendant les cent jours, elle donna à Londres des séances littéraires et musicales auxquelles prirent part plusieurs artistes distingués, Cramer, Viotti, Lafont, etc. Elle y reçut, en 1816, le brevet d’une pension théâtrale pour elle et pour son père, et à son retour à Paris, sur la fin de l’année, elle en obtint une de 2, 000 francs de Louis XVIII. Elle exhala sa reconnaissance dans des Vers sur la bonté, adressés a ce prince pour l’anniversaire de sa naissance (17 novembre 1816). Fort heureusement elle était alors en position de se passer de son mari qui, enveloppé dans les pertes successives de son fils ainé, Michel Simons, se trouva réduit à un tel état de détresse qu’un de ses neveux eut recours à madame Simons, et son attente ne fut pas trompée. Elle envoya aussitôt une somme assez considérable à son mari, qui jusqu’à sa mort reçut d’elle une pension. Veuve de Simons, en avril 1821, elle épousa, l’année suivante, Hilaire-Henri Périé, plus jeune qu’elle de quelques années, et natif de Castres. C’était un de ces élèves de David, qu’on avait vus, en 1795, se promener dans Paris, revêtus de l’ancien costume des républicains grecs ou romains. La médiocrité de ses talents comme peintre et dessinateur avait forcé Périé d’entrer dans l’administration des jeux. Quoiqu’il y occupât un emploi très-lucratif, sa femme, qui avait des sentiments plus relevés, n’était nullement flattée du rang où l’état de son mari la laissait dans la société. Elle frappa à toutes les portes pour tâcher de le tirer de l’antre de Cacus, et ses sollicitations, son esprit insinuant, obtinrent, du chargé des

  1. Cette correspondance, confiée à M. Pannetier, sculpteur, doit être révisée par M. Augustin Soulié.
  2. Un des cabaleurs s’étant vanté de cet exploit chez son oncle Carat : « Eh quoi ! dit le célèbre chanteur, vous avez fait tomber l’ouvrage de madame Simons-Candeille, de mon amie !… musicienne superbe ! — Ma foi ! mon oncle, répond le jeune étourdi, qu’elle fasse donc de la musique, et qu’elle cesse de nous donner et des drames en prose. »