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de la Loire-inférieure, et se retira à Beaugency, en 1791, après avoir donné sa démission. Il accueillít, à la fin de décembre 1793, à leur passage, les cent trente-deux Nantais que Carrier envoyait au tribunal révolutionnaire, et chercha à adoucir leurs souffrances[1]. Dénoncé et arrêté pour ce fait, il fut transféré à la prison du Plessis à Paris et n’en sortit qu’après la chute de Robespierre. Étant retourné à Beaugency, il y fut nommé commissaire du directoire ; et après la révolution du 18 fructidor (1797), les électeurs du Loiret l’envoyèrent député au conseil des anciens. Ses opinions politiques pouvaient passer à cette époque pour modérées. Il fut nommé secrétaire, combattit le projet de loi sur les fêtes décadaires, s’éleva contre la loi des otages, fit prononcer l’interdiction de toute réunion clubiste dans les lieux qui formaient l’enceinte extérieure du conseil. Le 20 juillet, il dénonça les placards affichés par le club du Manège, et ce club fut fermé. Peu de jours après, il vota contre la mise en jugement des émigrés naufragés à Calais, et il défendit le général Lefebvre, depuis maréchal, contre ses ennemis. Cornet prit souvent la parole, dans ce temps-là, sur le régime hypothécaire, sur la taxe des portes et fenêtres, sur l’impôt du sel, sur le remboursement des domaines congéables ; sur les cours martiales maritimes, sur la liberté civile et politique, sur les élections, sur la garde du corps législatif, etc. Élu président le 19 août 1799, il prononça, dans la séance du 4 septembre, un Discours à l’occasion de la fête du 18 fructidor, dans lequel il demandait que cette fête fût célébrée avec enthousiasme. L’exaltation tenant lieu de faconde à l’orateur, il se prononça avec une égale véhémence contre le royalisme et l’anarchie. Cependant il craignait encore plus le drapeau blanc que le drapeau rouge. « Le trône et l’autel peuvent, dit-il, redevenir des mots magiques qui asserviront de nouveau l’univers. » Se laissant emporter par la déclamation, tandis que les prescrits de fructidor languissaient et mouraient dans les déserts de Sinnamari, le président Cornet leur envoyait cette apostrophe : «Vivez, vivez cependant sous un climat qui ne soit pas ennemi de l’homme. Et pour justifier la prescription de cinquante-deux journalistes, l’orateur s’écriait : « La presse elle-même ne doit gémir que pour la liberté. » Puis il parlait de César et de la bataille de Pharsale, à propos du 18 fructidor ; il se comparait lui-même à la fille de Priam : Puissé-je, nouvelle Cassandre, etc. Enfin il s’évertuait contre le barbare Autrichien, le farouche Moscovite : «Les habitants du Nord, ces esclaves ensevelis huit mois de l’année sous des frimas, et qui sont indignes, par leurs mœurs et leur caractère sauvage, de respirer le même air que nous. » Telle était l’éloquence de la plus sage tribune de France en ce temps-là. Peu de jours après (11 septembre), Cornet, toujours président des anciens, prononça l’oraison funèbre du général Joubert (in-8° de 10 pages). Le 25 septembre il combattait le projet de loi portant peine de mort contre quiconque prononcerait ou signerait des actes tendant à modifier la constitution de l’an 5 et l’intégralité du directoire. Déjà il était convaincu, comme il le dit dans sa Notice sur le 18 brumaire, que « cette constitution de l’an 5 ne pouvait plus aller. « Le directoire exécutif, les conseils n’étaient plus a en harmonie, etc. » Alors Cornet était membre de la commission des inspecteurs du conseil des anciens, présidée par Baudin des Ardennes ; et il s’était plusieurs fois entretenu avec lui de la nécessité d’un coup d’Etat ; mais ils ne voyaient où prendre le bras d’exécution, lorsque la nouvelle du débarquement de Bonaparte à Fréjus étant arrivée à Paris, Cornet dit à Baudin : Avec cet homme-là, je risque tout ; et il était prêt à tout risquer, quand, dans l’ivresse de sa joie, Baudin mourut subitement. Cornet raconte qu’il versa quelques pleurs sur sa tombe, du haut de la tribune des anciens, et qu’il le remplaça dans la présidence de la commission. « Or, dit-il, les commissions d’inspecteurs des conseils exerçaient, dans l’enceinte de leurs palais, la haute police, et se trouvaient à cet égard seules en contact avec la police de Paris et avec la police générale de l’État. » À cette époque, Cornet joua sa tête dans une partie dont la France était l’enjeu. C’était avec le conseil des anciens que Bonaparte et préféra, dit-il, de risquer l’aventure. « Les rôles furent distribués. Deux des directeurs, les sieurs Siéyès et Roger-Ducos, entrèrent dans les vues du général. Les deux commissions d’inspecteurs des deux conseils y accédèrent, et il fut arrété que le conseil des anciens rendrait un décret pour transférer les deux conseils à St-Cloud ; que Bonaparte serait nommé commandant de la première division, et serait ainsi chargé de l’exécution du décret. » Tout ayant été définitivement convenu le 17 brumaire, Cornet passa la nuit à sa commission des inspecteurs, contrevents et rideaux fermés, pour qu’on ne s’aperçût pas qu’on travaillait dans les bureaux. Nous savions que nous étions observés. On expédia des lettres de convocation pour les membres du conseil ; mais on en retint une douzaine, qui étaient destinées à ceux dont on redorait l’audace : celles-ci ne furent envoyées qu’après que le décret fut rendu. Le conseil (des anciens) avait été convoqué pour dix heures du matin, celui des cinq-cents pour midi. Celui-ci étant obligé de lever la séance après la simple lecture du décret de translation, on n’avait excepté de la convocation aucun de ses membres. » Cornet présida le conseil des anciens, et ouvrit la séance par cette allocution : « Représentants du peuple, la confiance dont vous avez investi votre commission des inspecteurs lui a imposé l’obligation de veiller à votre sûreté individuelle, à laquelle se rattache le salut de la chose publique : car, dès que les représentants d’une

  1. « Nous fûmes bien reçus à Beaugency : on nous répartit dans trois auberges, deux par lit ou par matelas. C’était le premier repas que nous faisions à table, et la première nuit que nous passions entre des draps. Aucun de nous ne s’était déshabillé depuis trente-quatre jours. Nous avions été conduits de cachots en cachots, d’églises en églises, d’écuries en écuries, couchant toujours sur la paille, souvent pourrie. » (Relation du voyage des cent-trente-deux Nantais, p. 33)