Page:Michaud - Le printemps d'un proscrit, 1803.djvu/128

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les lois d’un nouveau possesseur,
Ces beaux lieux autrefois témoins de son bonheur ;
Et chez l’infortuné dont il étoit le père,
Il mandie en tremblant le pain de la misère.
Malheureux ! à l’espoir ne ferme pas ton cœur ;
Que la vertu du moins console ton malheur ;
A la voix de l’honneur reste toujours fidèle ;
N’accuse point sur-tout la justice éternelle :
Tes vertus, tes bienfaits sont écrits dans les cieux,
Et ta cause est liée à la cause des dieux.
Les hôtes de ces champs ont essuyé mes larmes ;
Va, cours à leur bonté confier tes alarmes ;
Et pour être accueilli de ces cœurs généreux,
Parle au nom du malheur toujours sacré pour eux.
Mais, tandis qu’à regret je quitte ces demeures,
Entraînant dans son cours le char léger des heures,
L’astre brûlant du jour s’incline vers les monts ;
Et zéphire endormi dans le creux des vallons,
S’éveille ; et, parcourant la campagne embrasée,
Verse sur le gazon la féconde rosée ;
Un vent frais fait rider la surface des eaux,
Et courbe, en se jouant, la tête des roseaux.
Déjà l’ombre s’étend : ô frais et doux bocages !
Laissez-moi m’arrêter sous vos jeunes ombrages,
Et que j’entende encor, pour la dernière fois,
Le bruit de la cascade et les doux chants des bois.
De la cîme des monts tout prêt à disparoître,
Le jour sourit encor aux fleurs qu’il a fait naître ;
Le fleuve poursuivant son cours majestueux,
Réfléchit par degré sur ses flots écumeux,
Le vert sombre et foncé des forêts du rivage.
Un reste de clarté perce encor le feuillage,
Sur ces toits élevés, d’un ciel tranquille et pur,
L’ardoise fait au loin étinceler l’azur ;
Et la vître embrasée, à la vue éblouie,
Offre à travers ces bois l’aspect d’un incendie.
J’entends dans ces bosquets le chantre du printemps ;
L’éclat touchant du soir semble animer ses chants ;
Ses accens sont plus doux, et sa voix est plus tendre.
Et, tandis que les bois se plaisent à l’entendre,
Au buisson épineux, au tronc des vieux ormeaux,
La muette arachné suspend ses longs réseaux ;
L’insecte, que les vents ont jeté sur la rive,
Poursuit, en bourdonnant, sa course fugitive :