Page:Michaud - Poujoulat - Correspondance d’Orient, 1830-1831, tome 2.djvu/265

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sonne ne visite plus, où croissent la ronce et l’ortie, dont les marbres dégradés et recouverts de mousse ressemblent à ruines abandonnées. De vieux cyprès couvrent les morts des anciens temps ; des arbres, récemment plantés, prêtent leur ombrage naissant aux morts qui viennent d’arriver ; ainsi les cercueils ont leurs générations comme notre monde ; à chaque génération nouvelle, la forêt s’étend : toutes les fois qu’il arrive un mort, on plante d’autres cyprès, et le dieu Terme du trépas recule ses limites.

Les morts affluent à Scutari de toutes les cités voisines : le plus grand nombre vient de Stamboul. J’ai vu à Tophana l’endroit où ils sont embarqués pour le rivage de l’Asie, et qu’on appelle l’Échelle des Morts. D’après d’anciennes prédictions, les Turcs sont persuadés que la ville de Constantinople tombera au pouvoir des Francs, et que l’asile des morts ne sera point respecté sur la terre d’Europe. Voilà pourquoi on se fait enterrer à Scutari. Les Turcs ont aussi d’autres motifs pour préférer le rivage d’Asie : il est plus tranquille et plus solitaire que le territoire de la capitale. C’est là d’ailleurs que reposent les ossemens d’un grand nombre de saints personnages révérés parmi les musulmans. Non-seulement les dernières pensées des Osmanlis se portent vers le champ des morts de la rive asiatique, mais ceux qui veulent se dérober au bruit