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MICHEL-ANGE.

Ah ! pauvre Titan de l’art, qui ne put jamais réaliser aucun des grands rêves de marbre qu’il avait conçus, pour la gloire des temps modernes, qui dépasserait celle des âges antiques ! On sait l’histoire de ce tombeau de Jules II où l’impérissable papauté aurait trouvé un grandiose symbole de sa gloire et de sa pérennité jusque parmi les ombres de la mort. Quelle autre pierre d’Ixion cet autre roi des Lapithes roula, toute sa vie, à travers trois contrats illusoires, tout le long de sa route désenchantée, jusqu’à son propre tombeau où, seule des quarante statues projetées, celle du fulminant Moïse roule, de siècle en siècle, son vain tonnerre sur un désert de marbres délaissés !…

Et cette façade de San-Lorenzo de Florence où, pour laisser triompher Raphaël seul à Rome, Léon X exila cet autre Phidias qui, de cet autre Parthénon, voulait faire le « Miroir de l’Italie » où se refléterait la gloire des siècles à venir ; — et ce miroir brisé ne refléta que la tristesse d’avoir seulement amassé les matériaux sur ce chantier de constructions toujours à pied d’œuvre, où deux Médicis trouvèrent à peine à loger leurs tombeaux dans une sacristie. Pour une fois que Michel-Ange put réaliser un de ses grandioses projets avec les monuments inachevés de Laurent et de Julien dans cette sacristie de la Chapelle des Médicis, on sait avec quel art il sut tirer parti des derniers marbres qui lui restaient et faire, de quatre morceaux trop courts, les quatre mesquines volutes où la Nuit et le Jour, l’Aurore et le Crépuscule, cherchèrent un coin de socle insuffisant pour la longueur de leur stature et la grandeur de leur mélancolie qui parle encore, avec le maître préférant le sommeil de la mort au réveil de ces marbres qu’en passant Gioan-Carlo Strozzi, un autre poète, avait voulu faire parler :

Grato m’è l’sonno e più l’esser di sasso…

Sans doute, une fois, ce grand génie malheureux trouva la place qu’il fallait à son pinceau débutant par un coup d’audace qui fut une œuvre d’insurpassable maîtrise. Ce fut dans cette Sixtine dont la prudence de Jules II lui confia la voûte (de 1508 à 1512), et dont l’imprudence de Paul III lui abandonna le chevet (de 1537 à 1541). On sait que là ce barbare de génie osa superposer un chef-d’œuvre à un chef-d’œuvre et peindre son terrifiant Jugement dernier à la place où l’idéal Pérugin avait tracé, avec le charme qu’on devine, cet autre Paradis perdu pour l’art, où l’Ancien et le Nouveau Testament avaient été représentés en un diptyque, par la Naissance de Moïse et la Naissance de Jésus, — une Assomption de la Vierge surmontant ces deux fresques du maître de la grâce.

Une dernière revanche s’offrit à ce vainqueur toujours vaincu et à cet indéconcertable lutteur. Ce fut quand Michel-Ange, déjà vieillard et toujours invincible, portait le deuil du sculpteur et du peintre malheureux. Il allait se réveiller architecte sur son tombeau qui n’eût pas voulu de ce géant avant qu’il n’eût jeté, dans le ciel de Rome et du monde étonné, cette coupole de Saint-Pierre portant, comme une fleur d’azur dans le bleu de l’espace, la masse prodigieuse du Panthéon d’Agrippa qu’on n’avait osé copier qu’avec timidité, depuis les jours passés et les gigantesques travaux des Romains. Pour un Auguste qui présida à l’érection à niveau du sol de la