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MICHEL-ANGE.

qui se font en Italie qu’on peut donner le nom de vraie peinture ; et c’est pour cela que la bonne peinture est appelée italienne… La bonne peinture est noble et dévote par elle-même, car chez les sages rien n’élève plus l’âme et ne la porte mieux à la dévotion que la difficulté de la perfection qui s’approche de Dieu et qui s’unit à lui : or la bonne peinture n’est qu’une copie de ses perfections, une ombre de son pinceau, enfin une musique, une mélodie, et il n’y a qu’une intelligence très vive qui en puisse sentir la difficulté. C’est pourquoi elle est si rare que peu de gens y peuvent atteindre et savent la produire. »

Après un long développement de cette doctrine, Vittoria interroge encore :

« Quel homme vertueux et sage, dit-elle (à moins qu’il ne vive dans la sainteté), n’accordera toute sa vénération aux contemplations spirituelles et dévotes de la sainte peinture ? Le temps manquerait, je crois, plutôt que la matière pour les louanges de cette vertu. Elle rappelle la gaieté chez le mélancolique, la connaissance de la misère humaine chez le dissipé et chez l’exalté ; elle réveille la componction chez l’obstiné, guide le mondain à la pénitence, le contemplatif à la méditation, à la crainte ou au repentir. Elle nous représente les tourments de l’enfer, et autant qu’il est possible la gloire et la paix des bienheureux et l’incompréhensible image du Seigneur Dieu. Elle nous fait voir bien mieux que tout autre moyen la modestie des saints, la constance des martyrs, la pureté des vierges, la beauté des anges, l’amour et la charité dont brûlent les séraphins. Elle élève et transporte notre esprit et notre âme au delà des étoiles, et nous fait contempler l’éternel empire. Elle nous rend présents les hommes célèbres qui depuis longtemps n’existent plus, et dont les ossements mêmes ont disparu de la surface de la terre. Elle nous invite à les imiter dans leurs hauts faits… Elle exprime clairement ce qui, sans elle, serait aussi long à décrire que difficile à comprendre. Et cet art si noble ne s’arrête point là : si nous désirons voir et connaître l’homme que ses actions ont rendu célèbre, il nous en montre l’image ; il nous présente celle de la beauté dont une grande distance nous sépare, chose que Pline tient pour très importante. La veuve affligée retrouve des consolations dans la vue journalière de l’image de son mari, les jeunes orphelins sont satisfaits, une fois devenus hommes, de reconnaître les traits d’un père chéri [1]. »



XXXVII

Michel-Ange à Luigi del Riccio.
Rome, 1542.0000

Je vous envoie un sac de manuscrits, afin que votre courtoisie voie lesquels il faut présenter à Cortèse. Je vous prie de dire à Urbino [2] de les faire copier,

  1. Francisco, fils de l’enlumineur portugais Antonio de Hollanda, né en 1517, apprit à peindre chez son père, et fut envoyé par la Cour à Rome, où il connut Michel-Ange, vers 1537. Les Quatre Dialogues qu’il écrivit en 1548, furent publiés par Joachim de Vasconsellos. Le comte Raczynski les a traduits, en 1846, dans les Arts en Portugal. En 1910, M. Rouanet en a publié une traduction nouvelle (Honoré Champion édit.).
  2. Francesco Amadore, dit Urbino, de Castel Durante, le fidèle serviteur que Michel-Ange affectionna particulièrement.