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Page:Michel-Ange - L’Œuvre littéraire, trad. d’Agen, 1911.djvu/21

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INTRODUCTION

d’avoir été si infortuné que, par la faute d’autrui, il lui fût arrivé parfois d’avoir passé dix et douze ans sans rien faire, comme nous le verrons dans la suite. Cette œuvre se voit encore à Florence, dans la maison des Buonarroti, et les figures en sont grandes de deux palmes à peu près. À peine furent-elles finies, que Laurent le Magnifique passa de vie à trépas. Michel-Ange s’en retourna à la maison de son père ; et cette mort lui fit éprouver une telle douleur que, de longs jours, il ne put rien faire. Revenu à lui, il acheta un gros morceau de marbre, exposé de longues années aux intempéries de la pluie, et il y tailla un Hercule haut de quatre brasses, qui fut ensuite envoyé en France [1].

XI. — Pendant qu’il travaillait à cette statue, une neige épaisse tomba sur Florence. Pierre de Médicis, fils du grand Laurent, qui lui avait succédé, mais non point avec la même grâce, voulut, étant jeune homme, s’amuser à faire au milieu de sa cour une statue de neige. En cette occurrence, il se souvint de Michel-Ange et l’envoya chercher pour faire la statue. Il voulut ensuite qu’il restât chez lui, comme au temps de son père, et il lui offrit la même chambre et le même couvert à sa table, comme auparavant et avec les mêmes habitudes dont on usait du temps du père, c’est-à-dire que quiconque prenait place à table au commencement du service, n’avait à se déranger pour aucune autre personne survenante, quelque importante qu’elle fût.

XII. — Ludovic, père de Michel-Ange, s’étant fait plus ami de son fils et le voyant fréquenter presque toujours de grands personnages, lui donna des vêtements meilleurs et plus honorables. Ainsi le jeune homme resta quelques mois chez Pierre Médicis et en fut bien traité. Ce Pierre avait coutume de vanter deux sujets de sa famille, comme deux personnes rares. C’était Michel-Ange pour la première et, pour la seconde, un estafier espagnol qui, en outre de la beauté de son corps merveilleux, était si adroit et si leste et d’un tel souffle que, lorsque Pierre courait à cheval à toute bride, il n’arrivait pas à la bête de devancer l’homme d’un pied.

XIII. — En ce temps-là, pour complaire au prieur de Santo-Spirito, — église fort en honneur à Florence, — Michel-Ange fit un crucifix de bois un peu moins grand qu’au naturel, qui se voit aujourd’hui encore sur le maître-autel de cette église. Il profita de ses relations avec ce prieur, dont la grande courtoisie lui fit accepter (à l’hôpital de San-Spirito) une chambre et des cadavres. Il y étudiait l’anatomie, et il en éprouvait la plus grande satisfaction qu’il pût souhaiter. Ce fut le début de ses études, qu’il continua jusqu’à ce que la fortune lui sourit ailleurs.

XIV. — Au palais de Pierre, fréquentait un certain courtisan surnommé Cardière. Le duc prenait grand plaisir à l’entendre chanter sur la lyre et improviser merveilleusement. C’était, d’ailleurs, sa profession, et chaque soir, après le dîner, il s’y adonnait. Comme Cardière était ami de Michel-Ange, il lui raconta une fois un songe qu’il venait d’avoir. Laurent de Médicis lui était apparu, vêtu d’un manteau noir et tout déchiré sur son corps nu. Il lui avait donné l’ordre d’aller dire à son fils que bientôt il serait

  1. Cet Hercule fut, jusqu’au siège de Florence, au palais Strozzi. Vendu plus tard au roi de France François Ier, il s’est perdu depuis.