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MICHEL-ANGE.

SONNET XXIII
Io fui, già son molt’ anni…

Amour ! tu m’as, il est vrai, mille fois vaincu et mortellement blessé dans ma jeunesse. Mais, aujourd’hui, sous mes cheveux blanchis, puis-je me laisser prendre encore à tes frivoles promesses ?

Hélas ! combien de fois as-tu tour à tour rallumé ou étouffé mes désirs ! Combien de fois m’as-tu vu, le sein baigné de larmes, trembler et pâlir sous tes coups !

Amour ! c’est à toi que je parle et c’est de toi que je me plains. Désabusé de tes flatteurs mensonges, je ne crains plus tes traits cruels ; tu les diriges en vain contre moi.

Que peut la scie ou le ver contre le bois réduit en cendres ? Et n’y a-t-il pas de la honte à poursuivre celui qui manque, à la fois, et d’haleine et de force ?


SONNET XXIV
Tornami al tempo…

Amour ! si tu veux que je brûle et souffre encore sous tes lois, rends-moi ce jeune âge où, libre de tout frein, je me livrais aveuglément à tes feux. Rends-moi cette angélique beauté dont la perte a privé la nature de tous ses charmes.

Rends-moi ce besoin inquiet de porter, çà et là, mes pas devenus si tardifs sous le poids des ans. Rends enfin à mes yeux leurs larmes, à mon sein le feu qui l’embrasait.

Mais s’il est vrai que tu vives de pleurs, de ces pleurs doux et amers que versent les mortels, qu’attends-tu désormais d’un vieillard défaillant ?

Il est temps que mon âme, prête à passer sur l’autre rive, soit accessible aux traits d’un autre amour et brûle d’un feu plus noble que le tien.


SONNET XXV
Io di te, falso amor…

Amour trompeur ! depuis longtemps, c’est toi qui remplis mon âme, toi qui nourris mon corps en quelque sorte ; car ton magique pouvoir nous soutient, même au bord du tombeau.

Las de ton joug, je m’élève sur les ailes de la pensée, vers un objet et plus noble et plus vrai : je demande à Dieu qu’il me pardonne des fautes dont le souvenir vivra gravé dans mille écrits.

Mon cœur, épris d’une beauté qui n’est point périssable, vient lui-même s’offrir sans défense aux traits de cet amour qui assure l’éternelle vie ;

Qu’il frappe ! ses coups me seront secourables. Je ne veux plus me nourrir que des espérances du ciel, en attendant que la tombe couvre ma froide dépouille.


SONNET XXVI
Cavico d’anni e di peccati pieno…

Chargé d’ans, plein de péchés et endurci dans le mal, me voilà, hélas ! près de l’une et de l’autre mort, sans que l’amour ait cessé d’empoisonner mon cœur.