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APPENDICES

Je ne traînerai point désormais ma triste vie dans les larmes, et, libre enfin des pensées dont ma douleur s’alimente, je ne ferai plus retentir l’air de mes soupirs.


SONNET XX
Qui intorno fit dove…

C’est ici que mon unique bien daigna soumettre à ses lois et mon cœur et ma vie ; ici que ses beaux yeux flattèrent mon espoir ; là que son accueil pour moi fut doux et favorable.

En cet endroit, sa main forma mes chaînes ; dans cet autre, elle les brisa. Ici, je fus dans l’ivresse, et là, dans la douleur. Enfin, c’est de ce rocher que j’ai vu, avec désespoir, s’éloigner celle qui me ravit à moi-même et qui m’a délaissé.

Souvent, je reviens m’asseoir dans ces lieux où mon cœur, pour la première fois, perdit sa liberté ; dans ces lieux que les chagrins, autant que les plaisirs que j’y éprouvai, m’ont rendu chers ;

J’y retrouve des souvenirs, tantôt tristes, tantôt riants, selon que tu te plais, Amour ! à me rappeler les rigueurs ou les bontés de l’objet qui m’enflamme,


SONNET XXI
Daî mondo scese…

Descendu de ce monde dans les abîmes ténébreux, le Dante parcourut l’un et l’autre Enfer et, de là, se livrant au sublime effort de la pensée, il s’éleva vivant jusqu’à Dieu même, dont il donna la vraie connaissance aux mortels.

Astre éclatant, ses rayons découvrirent à nos yeux, auparavant aveugles, les mystères de l’éternité. Le prix qu’il en obtint fut celui qu’un monde injuste et coupable ne donne que trop souvent aux hommes les plus grands.

On ne sut point apprécier le Dante, ni son sincère amour pour ce peuple ingrat qui n’est ennemi que des justes.

Toutefois, que ne suis-je né pour un semblable destin ! À l’état le plus heureux de ce monde, j’aurais préféré ses vertus et son cruel exil.


SONNET XXII
Quanto dirne si dee…

Jamais on ne dira de lui tout ce qu’il en faut dire. L’éclat de son génie fut trop vif pour les faibles yeux des mortels, et il est plus aisé de blâmer le peuple qui l’outragea que de s’élever au moindre éloge d’un tel poète.

Il descendit, pour notre enseignement, dans les royaumes du péché ; et, de là, s’élevant jusqu’à Dieu, les portes du ciel s’ouvrirent devant celui à qui la patrie avait fermé les siennes.

Peuple ingrat ! en faisant son malheur, tu fis le tien ; tu montras que c’est aux plus vertueux qu’est réservé le plus de maux.

Qu’une preuve suffise, entre mille. Jamais il n’y eut d’exil plus injuste que le sien, comme il ne fut jamais d’homme plus grand que lui sur la terre.