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INTRODUCTION

de Notre-Dame qui est aujourd’hui (à Saint-Pierre) dans la chapelle de la Madone de la Fièvre. Précédemment et d’abord, elle avait été placée dans la chapelle de Sainte-Pétronille, qui appartient au roi de France et qui avoisine la sacristie de Saint-Pierre. Selon quelques-uns, cette partie de la basilique avait été un temple de Mars ; elle fut abattue par Bramante, par respect pour le dessin de la nouvelle église. Cette Madone est assise sur le roc où fut plantée la croix. Elle tient son Fils mort sur ses genoux, avec une si rare beauté qu’il n’est personne qui la voie sans être ému de pitié dans son âme. Image vraiment digne de cette humanité qui convenait au Fils de Dieu et à une telle mère ! Il ne se trouve pas moins des esprits critiques qui reprochent à cette mère de paraître trop jeune, en comparaison de son fils. Comme j’en raisonnais, un jour, avec Michel-Ange : « Ne sais-tu pas, me répondit-il, que les femmes chastes se conservent plus fraîches que les autres ? Combien, à plus forte raison, dut rester jeune une Vierge dont le visage ne fut jamais altéré par le moindre désir lascif qui fatiguât ce corps ! Je veux même dire plus. Il est à croire que la volonté divine favorisa cette fleur et cette fraîcheur de jeunesse, afin de mieux prouver au monde la virginité et l’éternelle pureté de sa Mère. Cet aspect de jeunesse n’était pas nécessaire pour le Fils ; il lui eût été plutôt contraire, parce qu’ayant dû prendre un corps d’homme et subir toutes les misères humaines, excepté le péché, il ne fallait pas que l’humanité fût, en lui, effacée par la Divinité ; mais il devait la laisser en son cours et son ordre de choses, de façon que le temps imprimât sur elle les traces de son stigmate. Ne sois donc pas surpris si, par ces considérations, j’ai représenté la Vierge très sainte, mère de Dieu, plus jeune qu’il ne convient ordinairement à cet âge, tandis que j’ai laissé au Christ toutes les marques du sien. » Considération digne d’un théologien accompli, et merveilleuse peut-être chez un autre, excepté chez Michel-Ange. Dieu n’avait-il pas formé sa nature non seulement pour opérer des œuvres uniques avec sa main puissante ; mais son esprit aussi n’était-il pas digne des plus divines conceptions dont on peut avoir les preuves non seulement en cette argumentation, mais en tant d’autres dont ses écrits font foi ? Quand Michel-Ange fit cette œuvre, il pouvait avoir vingt-quatre ou vingt-cinq ans. À cet effort, il acquit grand renom et réputation. Le monde retenait déjà que ce maître dépassait de beaucoup, non seulement tous les autres de son temps, mais encore ceux des âges qui l’avaient précédé, et qu’il rivalisait même avec les Antiques.

XXI. — Après ces travaux, il fut obligé de retourner à Florence pour ses affaires domestiques. Comme il y séjourna assez longtemps, il y rit la statue qui se trouve placée jusqu’à présent devant le palais de la Signoria à l’extrémité de la Tribune. Cette statue, communément appelée Le Géant [1], fut faite comme il suit. La Confrérie ouvrière de Sainte-Marie des Fleurs possédait un bloc de marbre, mesurant neuf brasses de hauteur. Il avait été porté de Carrare, cent ans auparavant, par un artiste peu habile en son métier, s’il le

    Saint-Denis qui commanda cette Pietà à Michel-Ange, fut Jean de la Groslaye de Villiers, abbé de Saint-Denis et ambassadeur de Charles VIII près Alexandre VI.

  1. C’est le David qui, jusqu’en 1873 se voyait devant le Palazzo Vecchio, où il avait été placé le 8 septembre 1504. Il est conservé aujourd’hui à L’Académie des Beaux-Arts.