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MICHEL-ANGE.

fallait juger sur cette œuvre. Pour le pouvoir conduire plus commodément et avec moins de fatigue, il l’avait ébauché dans la carrière elle-même, mais de telle manière que ce marbre n’inspira jamais ni à cet artiste ni à un autre le goût d’en extraire une statue, je ne dis pas de cette grandeur, mais pas même de dimension moindre. Ce bloc de marbre ne pouvant donc servir à rien de bon, un certain Andréa du Mont-San-Savino crut pouvoir l’obtenir de la Confrérie. Il demanda qu’on lui en fît présent et promit qu’en y ajoutant des morceaux il en tirerait un sujet. Les confrères envoyèrent chercher Michel-Ange et lui racontèrent le désir d’Andréa et ses bonnes intentions. Michel-Ange leur ayant répondu qu’on pouvait tirer de ce bloc une bonne chose, ils le lui offrirent. L’ayant donc accepté et sans y ajouter aucun morceau, il en fit la statue déjà nommée. Il la travailla si habilement à fleur de marbre qu’on peut voir encore, au sommet de la tête et à la base du marbre, son enveloppe primitive. Il fit semblablement en d’autres ouvrages, par exemple au tombeau du pape Jules II et à la statue qui représente la Vie Contemplative. Cette manière est celle des maitres supérieurs en leur art ; et elle parut plus merveilleuse encore en cette statue, à laquelle non seulement l’artiste n’ajouta pas des morceaux, mais encore où, comme il avait coutume de le dire, il était impossible ou tout au moins très difficile de corriger les défauts de la première ébauche. Michel-Ange reçut pour cette œuvre quatre cents ducats, et il l’exécuta en dix-huit mois.

XXII. — Pour ne point perdre l’habitude de son art et continuer à s’y faire la main, après le Géant commandé par Pierre Soderini, son grand ami, il coula en bronze une statue de grandeur naturelle qui fut envoyée en France, et semblablement un David foulant aux pieds Goliath [1]. Celui qu’on voit au milieu de la cour du palais de la Signoria est une œuvre de Donatello. Cet artiste d’art excellent était beaucoup loué par Michel-Ange, excepté sur un point, le polissage de ses œuvres, que Michel-Ange n’avait pas la patience de pratiquer sur les siennes ; de sorte que, vues de loin, elles apparaissaient admirables, et, de près, perdaient de leur réputation. Il coula aussi en bronze une Madone avec son petit enfant sur les genoux : elle lui fut payée cent ducats par des marchands flamands de la maison Moscheroni de très noble famille, et ainsi cet ouvrage partit pour les Flandres. Pour ne pas abandonner tout à fait la peinture, il fit pour messer AgnolBoni, citoyen de Florence, une Notre-Dame sur panneau rond, qui lui fut payée soixante ducats.

XXIII. — Il passa quelque temps à ne plus faire aucune autre œuvre de sculpture, et, se donnant à la lecture des poètes et des orateurs en langue vulgaire, il écrivit des sonnets à son caprice. Quand le pape Alexandre VI fut mort, le pape Jules II l’appela à Rome et lui envoya à Florence, pour son viatique, cent ducats. À cette époque, Michel-Ange pouvait avoir vingt-neuf ans ; et nous trouvons ces années comprises entre la date de sa naissance, qui arriva, comme j’ai déjà dit, en 1474, et celle de la mort d’Alexandre VI, qui eut lieu en 1503.

  1. Cette statue, dont parle ici Condivi, ne figure pas au Catalogue des œuvres de Michel-Ange. Serait-elle perdue, comme l’autre que mentionne Vasari et qui, envoyée au roi de France, n’a pas laissé plus de traces que la précédente ?