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MICHEL-ANGE.

dommage dans le camp ennemi. Michel-Ange, malgré les précautions prises sur ce point, et en prévision de ce qui pourrait arriver, ne se résolvait pas à quitter San-Miniato. Quand il y eut séjourné environ six mois, les soldats de la ville commencèrent à murmurer, parlant d’on ne sait quelle trahison. Michel-Ange avisé, tant par lui-même que par certains capitaines de ses amis, s’en vint à la Signoria. Il exposa ce qu’il avait appris et vu et dans quel péril se trouvait la cité, ajoutant encore qu’il était temps d’y pourvoir si le Conseil en décidait. Mais, au lieu de remerciements, on lui fit entendre vilenies et reproches, comme à un homme timide et trop soupçonneux. Le membre du Conseil qui l’apostropha de la sorte aurait mieux fait de le lui dire à l’oreille ; car, à la rentrée des Médicis à Florence, on lui coupa la tête. S’il n’avait pas ainsi parlé, peut-être aurait-il continué de vivre [1].

XLII. — Michel-Ange, voyant le peu de cas qu’on faisait de ses observations et prévoyant la ruine certaine de la ville, usa de son autorité pour se faire ouvrir une porte, et il s’enfuit avec deux des siens dans la direction de Venise. Certes, la trahison de la ville n’était pas une fable, mais celui qui la complotait [2] pensa qu’il y réussirait avec moins d’infamie si, en restant alors caché, il laissait au temps le soin de le faire à sa place, et d’empêcher d’agir celui qui s’y serait opposé. Le départ de Michel-Ange fut cause de grandes rumeurs dans Florence, et il fut décrété de contumace par le Conseil régent. Néanmoins, rappelé, on le priait grandement, on lui recommandait la patrie, on l’adjurait de ne pas abandonner l’entreprise dont il avait voulu se charger, la ville n’étant point réduite aux extrémités qu’il appréhendait. On ajouta bien des choses auxquelles l’autorité des personnages qui lui écrivaient s’ajoutant, eu égard principalement à son propre amour pour la patrie, il se résolut à profiter d’un sauf-conduit pour retourner en dix jours à Florence, non sans péril de sa vie.

XLIII. — Sitôt rentré, son premier soin fut de faire armer le campanile de San-Miniato, que les continuels assauts de l’artillerie ennemie avaient lézardé et mis en danger de ruine, au grand désavantage de sa garnison. Pour le fortifier, il fit ainsi. Prenant un grand nombre de matelas bien bourrés de laine, la nuit, avec de bonnes cordes, il les faisait descendre du faîte du clocher jusqu’au bas, et en recouvrait les parties pouvant subir les coups de feu. Et comme les créneaux de la tour étaient en saillie sur elle, ces matelas arrivaient à être placés à six palmes au moins, loin du mur principal du campanile. De la sorte, les balles de l’artillerie venant frapper celui-ci ne lui faisaient aucun dommage ou peu, en raison de la distance parcourue et des matelas protecteurs. Ainsi il put maintenir cette tour, tout le temps que dura la guerre, — c’est-à-dire une année, — sans qu’elle fût jamais prise. Elle profita, au contraire, grandement à défendre le pays et à endommager l’ennemi.

XLIV. — Mais des intelligences secrètes ayant introduit l’ennemi dans la ville, de nombreux citoyens y furent pris et tués. La cour fut aussi dépêchée à la maison de Michel-Ange, pour l’y prendre. On ouvrit toutes les

  1. Messer Francesco Carducci, alors gonfalonnier de la Justice, fut décapité avec plusieurs de son parti.
  2. Il s’agit ici de la trahison de Malatesta Baglioni.