IV
Mon très cher et presque mon frère,
Après t’avoir salué et m’être recommandé à toi, je t’avise que, samedi soir, au dîner du pape, je présentai certains dessins que nous eûmes à faire accepter, Bramante et moi. Quand le pape eut dîné et que je lui eus montré mes dessins, il fit appeler Bramante et lui dit : « Sangallo va demain à Florence, et il en ramènera ici Michel-Ange. » Bramante répondit au pape en disant : « Saint-Père, Michel-Ange n’en fera rien, car je l’ai beaucoup pratiqué et il m’a dit, à maintes reprises, qu’il ne voulait pas s’occuper de la chapelle dont vous vouliez lui donner la commande, et que vous ne vouliez vous-même le charger que du tombeau, et non de la peinture. » Et il ajouta : « Saint-Père, je crois qu’il ne s’en chargerait pas, parce qu’il n’a pas fait trop de figures, et surtout parce que ces figures seraient à peindre à la voûte et en raccourci, ce qui est tout autre chose que de les peindre à terre. » Alors le pape répondit en disant : « Si Michel-Ange ne revient pas, il me fera tort. Je crois, à toute fin, qu’il reviendra. » Alors je me découvris et je dis une bien grande vilenie en présence du pape. Je dis ce que je crois que vous auriez dit vous-même, à mon endroit. Ce fut si fort que Bramante ne sut que répondre et qu’il laissa croire qu’il s’était mal exprimé. Je dis en outre : « Saint-Père, il n’a jamais parlé à Michel-Ange, et sur ce qu’il vient de vous dire, s’il est vrai qu’il lui en a jamais ouvert la bouche, je veux que vous me fassiez trancher la tête. Je crois que Michel-Ange reviendra, quand Votre Sainteté le voudra. » Ainsi finit l’entretien. Rien autre à vous dire. Dieu vous garde de tout mal. Quoi que je puisse faire pour vous, avisezmoi, je le ferai volontiers. Rappelez-moi au souvenir de Simone Bollaiuolo.
(Arch. Buonarroti.)
V
… Le pape, le cardinal et Jacob Salviati sont hommes dont la parole vaut un papier et un contrat ; il sont de bonne foi, et non comme vous dites. Mais vous les mesurez à votre aune. Pour vous, ne valent ni acte ni serment.
- ↑ Sculpteur né en 1477, à Florence, via Santa Maria, voisine de la via Ghibellina où habitait Michel-Ange. Sa mère Francesca Tatti, jalouse de la gloire naissante de ce dernier, confia son fils Iacopo au sculpteur Andréa Contucci de Monte Sansovino, qui aima son élève au point de lui donner aussi son nom. Mort à Venise, en 1570, chargé d’œuvres et d’années.