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CORRESPONDANCE

Vous dites, à la fois, oui et non, selon que vous en retirez profit et utilité. Vous savez bien que le pape m’a promis les histoires (à sculpter sur la façade de San-Lorenzo), et que Jacob (Salviati) me les a promises aussi, et qu’ils sont hommes à maintenir leur parole. J’ai fait pour vous tout ce que j’ai pu qui vous soit utile et honorable, et je n’avais pas encore pris garde que vous ne faites jamais de bien à personne. Commencer par moi, serait vouloir que l’eau ne mouille pas. Enfin, vous savez que nous nous sommes trouvés ensemble dans bien des conversations, et je puis dire que maudit soit le jour où vous avez, en général, bien parlé de quelqu’un.

0000(Arch. Buonarroti.)



VI

Michel-Ange au capitaine de Cortone.
Florence, mai 1518.0000

0000Monsieur le Capitaine.

Comme j’étais à Rome, la première année (du pontificat) du pape Léon (X), maître Luca, peintre de Cortone [1], y vint aussi et, me rencontrant un jour, dans le quartier de Monte Giordano, il me dit qu’il venait d’arriver pour parler au pape et obtenir je ne sais plus quelle chose. Il ajouta qu’il en était venu jusqu’à risquer de se faire couper la gorge par amour pour la Maison des Médicis et qu’il lui paraissait qu’aujourd’hui elle ne semblait pas le reconnaître. Il ajouta d’autres choses semblables dont je ne me souviens plus, et, après ces raisonnements, il me demanda quarante jules en m’indiquant où j’aurais à les lui envoyer, c’est-à-dire à la boutique d’un certain cordonnier où je crois qu’il s’en retournait. Comme je n’avais pas cet argent sur moi, je m’étais offert de le lui envoyer, et ainsi je fis. Sitôt rentré chez moi, je lui mandai ces quarante jules par un de mes garçons d’atelier qui a nom Sylvio, — je crois même qu’il est encore aujourd’hui à Rome. Dans la suite, le projet de maître Luca ne lui ayant peut-être pas réussi, il vint, quelques jours après, dans ma maison du Macello dei Corvi, — maison que j’occupe encore aujourd’hui, — et il me trouva en train de travailler à une statue de marbre en pied, haute de quatre brasses, qui a les mains levées [2], et il se plaignit et me redemanda autres quarante jules, ajoutant qu’il voulait quitter Rome. Je montai à ma chambre et je lui rapportai quarante jules, en présence d’une fille de Bologne qui était à mon atelier, et même je crois du garçon qui y était encore et qui avait apporté les premiers jules. Luca prit cet argent et s’en alla à la grâce de Dieu. Je ne l’ai plus revu ; mais je me rappelle qu’étant moi-même alors mal portant, je m’étais plaint de ne pouvoir travailler avant que maître Lucas ne quittât

  1. Luca Signorelli, de Cortone, né vers 1441, mort après 1524. Peintre et élève de Fra Angelico, il composa, entre autres œuvres remarquables, un Jugement dernier, à la cathédrale d’Orvieto.
  2. Un des Esclaves qui devaient figurer au tombeau de Jules II, et que possède aujourd’hui le Musée du Louvre.