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Page:Michel - Contes et légendes.djvu/52

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Le père Christophe redemanda son œuvre et ne pouvant la publier la relisait tous les jours.

Se peut-il, disait le pauvre auteur, qu’un aussi brave homme que notre maître d’école soit comme les autres jaloux de mon talent.

Le père Remy essaya de lui expliquer qu’il ne fallait que douze syllabes dans les plus longs vers français et que cela traînait déjà bien assez la pensée.

C’est égal, répondait Christophe, vous ne me persuaderez jamais que trop de beauté soit un défaut.

Un jour, cependant, il avait un peu compris à l’aide d’une gravure représentant une divinité indienne monstrueuse avec quatre superbes bras.

C’est assez de deux pour nos yeux habitués à cette forme, lui dit le père Remy, et je vous répète que notre pensée qui traîne dans douze syllabes doit ramper en vos vingt-quatre.

Le père Christophe réfléchit quelques instants et garda le silence à moitié vaincu.

Mais quand le lendemain le vieux poète recommença sa phrase favorite : c’est égal, on ne me persuadera jamais que !… le maître d’école l’arrêta. N’en parlons plus, dit-il, vous voulez avoir une petite vanité, gardez-là et soyons bons amis.

Le père Christophe réfléchit de nouveau et ne parla plus que rarement de ses écrits.

C’était un brave cœur, mais il appartenait encore à une époque où la vanité passait pour un noble orgueil ; il y a loin cependant de l’une à l’autre.