Page:Michel - La Commune, 1898.djvu/54

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» Telle est l’histoire de cet évanouissement que la réaction bonapartiste me reprocha beaucoup et qui en réalité fut dû à l’étrange délabrement où m’avaient mis soixante-quinze heures de surmenage passées sans nourriture et sans sommeil. Les forces humaines ont des limites ; ces limites chez moi avaient été dépassées et il m’avait été impossible de me tenir plus longtemps debout ou même assis.

» Cette explication, la seule vraie et aussi la seule plausible, puisque je ne pouvais courir aucun risque au milieu de deux cent mille accompagnateurs parmi lesquels on n’en aurait pas trouvé un qui ne me fût dévoué, n’empêcha pas les officieux de m’accuser de faiblesse. Il n’y avait pour moi, je le répète, absolument rien à craindre ; après quelques instants de lutte, en effet, le bon sens avait pris le dessus et l’inhumation, selon le désir de Delescluze et le mien, avait eu lieu au cimetière de Neuilly.

» Ce fut au contraire dans Paris que le péril se corsa. Après la cérémonie nombre d’entre nous étaient rentrés à pied par l’Arc-de-Triomphe. À la hauteur du rond point des Champs-Élysées se tenaient sabre au clair plusieurs escadrons de cavalerie chargés de disperser la foule, quoique, en réalité, ils n’eussent devant eux que des hommes qui revenant d’un enterrement étaient bien obligés de rentrer par la seule route qui les menât chez eux.

» Mais l’imbécile Ollivier voulait prouver qu’il était la force, comme il l’avait annoncé, et je vois tout à coup s’avancer au devant de mon fiacre un commissaire de police à l’abdomen tricolore, qui nous annonce qu’il va faire charger après trois sommations.

» Premier roulement.

» Réconforté par mon repas aussi frugal qu’improvisé, je saute de ma voiture et je m’avance vers le commissaire de police à qui je crie ces mots que je