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LA MISÈRE

189 « Les malveillants, les moutons de Panurge, dont l’éternel troupeau a des représentants un peu partout, les malveillants et les sots, après eux, prétendaient que les cléricaux payaient l’éducation de Gaspard, afin d’accaparer cette merveille de précocité à son profit. » > « < Cependant, toute cette brillante éducation se faisait avec l’économie ordinaire aux villageois. Gaspard avait été externe au collège. Pendant tout le temps de ses études il avait habité et habitait encore une maison de l’impasse SaintAntoine. Impasse parallèle à la rue du Chien et appartenant tout entière à M. Madozet. »

  • Gaspard et sa marraine, une vieille femme qu’on appelait la « < Nanette du

château » vivaient fort retirés dans l’impasse et ne voisinaient avec personne. » Chaque semaine, Marguerite — la femme de Jean-Louis Alard, le meunier, envoyait des vivres au petit ménage, ce qui dispensait la Nanette de toute communication avec le dehors. >> < « Tout cela était bizarre et occupait les commères. Plus bizarre encore paraissait l’idée que Jean-Louis avait eue de faire enseigner le piano et le dessin à son neveu. A la vérité, c’étaient peut-être les maîtres qui avaient mis ça dans la tête du meunier de la Roche-Brune pour les bénéfices qui leur en revenait, car on ne parlait rien moins que de la somme énorme de trente francs par mois, consacrée à l’étude des beaux arts. Il est juste d’ajouter que personne ne croyait à ce chiffre exorbitant, si ce n’étaient les mange-tout. » • Depuis qu’il avait passé ses examens, plusieurs familles de la haute société avaient fait des avances à Gaspard. Des protectrices éclairées des arts et des sciences, Mécènes en jupons, dont la spécialité est de faire sortir de la poussière des talents ignorés et de les produire à la lumière de leurs candélabres, avaient voulu attirer chez elles le neveu de Jean-Louis. » « Mais, soit timidité, soit tout autre motif, le jeune savant avait remercié et s’était tenu chez lui, d’où il ne sortait guère depuis qu’il n’allait plus au collège. « Et d’abord qu’est-ce que cela signifiait de continuer à demeurer à Issoire puisqu’il avait fini ses études ? Ce Gaspard était un être mystérieux qui se plaisait vraiment à exciter la curiosité du monde, sans jamais la contenter. » « Jugez un peu : on ne connaissait pas d’ami à l’étudiant. Pour la Nanette du château, les voisines la savaient dans la maison, mais elles ne l’avaient jamais revue depuis le jour où elle était arrivée avec le petit Gaspard. » > all y avait là quelque chose de pas naturel. Plusieurs fois les fines commères du quartier Saint-Antoine s’étaient dit que la brave femme était peut-être malade, et avaient offert de venir la soigner. Mais l’étudiant avait toujours remercié en ajoutant invariablement : « ma marraine se porte bien, elle n’a besoin de personne. > « Tout cela était bien louche et provoquait des remarques désobligeantes pour les habitants de l’impasse. » « Ces caquets, particuliers à la province, où tout ce qui essaye de marcher hors des sentiers battus, a le don d’exciter la curiosité publique, ces caquets avaient trouvé un auditeur fervent dans M. Madozet, qui flairait là une intrigue