197 « Oui, cher monsieur de Pont-Estrade, vous avez raison, » répondit Artona, « la folie de l’égoïsme possède la masse et l’ignorance l’aveugle sur ses véritables intérêts. Mais patience ! laissez luire la lumière dans tous ces cerveaux obscurs et vous verrez où nous mènera le suffrage universel. » Mais malheureux ton suffrage, soi-disant universel, et qui n’est rien moins que restreint, puisque les femmes n’en possèdent pas l’exercice ton suffrage universel est un coutelas dans les mains d’un enfant aveugle et obstiné. Il s’en servira contre lui-même, tu verras. » « C’est bien possible, mais le principe sera… » « — Laisse-moi tranquille, avec tes principes. Tu me forces à parler politique comme si je voulais me chauffer au soleil du budget, comme si, semblable à vous tous, je croyais ou je faisais semblant de croire à l’amélioration de la race humaine, en dehors de la science, par de vains systèmes sortis de toutes pièces d’un cerveau de novateur. Tout est affaire de lanterne, mon vieux. » « Il s’arrêta brusquement. » « <— Mais à propos de lanternes, fit Pont-Estrade, il ne fait guère plus clair dans les rues d’Issoire que dans la tête de beaucoup de ses habitants. Connais-tu la rue du Chien ? » « A cette question inattendue Artona tressaillit. « La rue du Chien ? » répétat-il, « < vous voulez aller dans la rue du Chien ? » « < Oui, pour avertir les gens d’une certaine maison de se tenir prêts à recevoir la visite des citoyens paysans qui, à ce que j’ai pu voir, ne seraient pas fâchés de boire un coup à la santé d’Henri V et, aux dépens de quelqu’un dont la réputation de fortune et la vie mystérieuse ont allumé d’ardentes convoitises et éveillé une de ces sottes curiosités de province, qui doivent se satisfaire à tout prix. » > “ On a parlé de ça ? demanda Artona d’une voix troublée. On voudrait inquiéter ce pauvre ?… ― >> ― » >> >> Ce pauvre qui ? » Gustave de Bergonne. >> « Un long silence suivit cette réponse. Artona, après l’avoir faite, semblait s’être cloué au sol, tandis que M. de Pont-Estrade, en proie à une vive émotion, piétinait sur place. Sans doute sa situation d’esprit avait en ce moment quelque chose de bizarre. Il en sortit avec sa brusquerie habituelle. » Corbleu ! » dit-il, « je pense que tu vas immédiatement avertir Valentine et son mari ? » > « — Vous les avertirez vous-même, monsieur de Pont-Estrade, puisque vous avez l’intention de leur faire une visite. » Comment donc ? Mais c’était sans les connaître… Qui aurait pu supposer ?.. Non, non ! Je n’irai pas… On n’arrive pas du Congo chez des amis, pour leur porter des preuves de l’imbécillité, de la méchanceté des hommes qu’ils ont fui. C’est à toi à y aller, à m’annoncer. » ― > — Je ne puis », dit Artona d’une voix étranglée. « Faut-il que je vous le répète Je suis brouillé, brouillé à mort avec Gustave. Tout ce que je puis faire,
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