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LA MISÈRE

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temps suivant. En attendant, comme deux fées de l’intérieur, elles mettaient toutes choses en ordre, ne perdaient pas une minute, travaillaient pour les pauvres et trouvaient encore le temps de lire et de s’instruire elles-mêmes. » « Un dimanche d’automne, les deux amies étaient sur la terrasse. Le ciel avait ces tons cuivrés qui mettent des reflets de vie sur le feuillage mourant des grands arbres. Au loin les vignes du côteau, rougies par la gelée, se détachaient sur la terre noire des champs d’alentour, déjà labourés pour les semailles d’hiver. Des tribus arriérées d’hirondelles sillonnaient l’espace. Le vent tiède du midi qui, à cette époque de l’année, verse comme des effluves de printemps sur la terre, emportait au loin les feuilles mortes des grands platanes et des marronniers du château, les roulait en tas le long des garde-fous, ou les étendait en tapis sous les pieds des jeunes filles. >>

  • De temps en temps, un coup de fusil, répété par l’écho des montagnes, dominait

le bruit du vent et semblait une note sauvage jetée par l’homme dans cette douce et triste mélodie qui berce la nature au moment où elle va s’endormir. >> « Valentine et sa compagne, bien loin d’être choquées par les détonations qui venaient jusqu’à elles, semblaient, au contraire, fort satisfaites de les entendre. » « A coup sûr, la présence d’un chasseur leur eût été particulièrement agréable, car, à chaque coup de fusil, les grands yeux de Valentine suivaient la même direction que ceux de Lucy, et semblaient vouloir percer le voile de feuilles mouvantes que la forêt étendait au-dessus de son domaine, impénétrable encore. » ((_ Il ne viendra pas, dit Valentine, il est peut-être malade ou fâché, j’ai si vilainement accueilli son salut d’hier qu’il doit me garder rancune. » Aussi pourquoi es-tu si raide avec ce pauvre garçon qu’un de tes sourires a l’air de transporter au ciel et qu’un coup d’œil froid assassine ; cela se voit sur sa jolie petite figure pâle. » > Ma chère, reprit Valentine avec une légère pointe d’impatience, en voulant arranger les affaires de ton protégé tu les gâtes souvent. Pourquoi me rappeler qu’il a une jolie petite figure ! vraiment, cela va bien à un homme, une jolie petite figure ! Y aurait-il, par exemple, quelque chose de plus impatientant que d’avoir un mari avec une jolie petite figure ! » Elle ajouta Moi, vois-tu, j’aurais aimé un homme comme Mirabeau, un beau monstre, à taille d’athlète, avec une âme formidable. > Et des passions de Titan, ajouta Lucy avec un malin sourire ; peste ! tu n’es pas dégoûtée ! mais alors, que viens-tu faire ici ? J’y viens admirer la nature, répondit Valentine, et regarder de quelles nuances elle va teindre son déshabillé du soir ; j’y viens pour dire adieu aux hirondelles ; j’y viens, surtout, pour être avec vous, mademoiselle la méchante, et voir quels jolis reflets le soleil couchant met sur votre teint d’Espagnole. Là, êtes-vous contente α-> Oui et non. » Ah voilà ! Il faudrait vous dire que je viens ici comme la veuve de Malborough. Ecoute-moi, mignonne : certes, ce petit jeune homme est charmant avec