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LA MISÈRE

A MISÈRE 267 Si, au contraire, elle voulait rester chez elle, il connaissait quelqu’un qui lui achèterait un mobilier. Elle n’avait qu’à le dire ; elle rembourserait cela petit à petit, sur ses BÉNÉFICES. Puis il la mettrait sous la protection d’un souteneur 1. Fallait toujours en avoir un un souteneur très chic, un vrai lapin, dont les marmites ne séjournaient jamais longtemps à Saint-Lazare, quelles que fussent leurs contraventions. Et comme Angèle ne répondait rien à toutes les offres gracieuses de l’agent et qu’elle ne cessait de répéter : Mais laissez-moi partir ! laissez-moi m’en aller » il finit par lui faire prendre enfin le chemin de la porte. A présent, elle était libre et elle avait un état. Plus tard, quand elle comprendrait mieux les choses de la vie, elle remercierait la police qui lui mettait vraiment le pain à la main. Elle était inscrite, elle était sous la protection des lois. Sur ces bonnes paroles, il la quitta en lui recommandant bien de venir donner l’adresse de la maison où elle allait exercer sa profession et surtout de ne pas manquer la visite, qui avait lieu tels et tels jours du mois. Elle était inscrite, elle ne devait pas l’oublier. Oui, Angèle était inscrite, comme prostituée, et elle avait SEIZE ANS ! Et c’étaient les soi-disant gardiens des bonnes mœurs qui l’avaient marquée de force pour la débauche. Et c’est un fait qui se renouvelle à chaque instant à la préfecture de police. Et ceux qui sont chargés de faire exécuter la loi la violent tous les jours avec impunité. A qui donc s’applique l’article 334 du code pénal ? << Quiconque aura attenté aux mœurs en excitant, favorisant ou FACILITANT « la corruption de la jeunesse, de l’un ou de l’autre sexe au-dessous de l’âge de << vingt et un ans, sera puni d’un emprisonnement de six mois à deux ans et << d’une amende de cinquante à cinq cents francs. » Après un texte si formel, et lorsqu’on sait aujourd’hui d’une manière si certaine, que la police française a inscrit sur ses registres, comme prostituées, des enfants de 14 ans ! on se demande pourquoi les préfets qui se sont rendus coupables d’aussi grands abus de confiance envers la nation n’ont pas été traduits en police correctionnelle et flétris par l’opinion publique ? 1. La police des mœurs a engendré un individu inconnu à Londres et partout où la police des inceurs n’existe pas, tout à fait spécial à Paris : c’est le souteneur. Voici quelles sont ses diverses fonctions. Il fait le guet pour la femme et la prévient par un signal quand il voit un agent des mœurs. De temps en temps, si l’occasion est favorable il la défend tantôt contre les agents des mœurs tantôt contre des clients récalcitrants. Enfin quelquefois, il a des rapports intimes à la fois avec des voleurs et avec la police. Les