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LA MISÈRE

29 robe d’indienne, ecoutait, comme dans un rêve, toutes les choses désespérantes que lui débitaient ses compagnes. Vaguement, la pauvre fille entrevoyait bien des difficultés, mais le sentiment maternel la soutenait dans ses espérances de bien faire. Il était impossible de ne pas réussir, quand on avait de si bonnes intentions. Elle le dit à Olympe qui se contenta de lui souhaiter bonne chance, tandis que Amelie lui donnait son adresse au cas où elle deviendrait raisonnable et pratique, sans blague. Là-dessus, elle retournait au bal. Angèle allait s’éloigner, quand Olympe, qui restait là toute songeuse, eut une idée. Au fond elle était bonne, cette friperie de jeunesse et le sort de la petite mère la touchaient. Ses remords lui rappelaient des temps… hélas ! que c’était loin que c’était bête ! des temps où elle-même avait eu de ces velléités vertueuses. Ça lui avait bien réussi vraiment ! Après ça, il y avait un monde entre ce passé et le présent, et peut-être les choses étaient changées ! Car, de ce qui se faisait dans le monde des honnêtes gens, dans le monde du travail, elle ne savait plus rien. Écoute, dit-elle à Angèle, je comprends bien que si tes parents sont dans la panne, s’ils t’embêtent, tu ne puisses, rester à leur charge. Tu veux essayer de vivre en travaillant, c’est une bêtise ; mais ça ne fait rien, faut voir tout de même. Voilà ma clef, et voici mon adresse : tu peux rester dans ma chambre pendant quinze jours. Moi, je n’y remettrai pas les pieds tout ce temps-là. Tu sais, faut que j’aille à ma petite maison de campagne. Demain, à la visite, on va, pour sûr, me délivrer gratis un billet d’aller pour le département de l’Oursine. Angèle tressaillit. L’autre reprit tranquillement comme pour aller au devant d’une répugnance : Tu mettras des draps blancs au lit, y en a une paire dans la commode. Ils sont un peu déchirés, mais tu les raccommoderas. Quand on veut être vertueuse, on ne saurait trop se recommander à la fée aux aiguilles. Hé ! hé ! hé ! Tu es donc malade ? demanda Angèle toute songeuse, car le nom de l’Oursine lui faisait un certain effet ; même avant ce que lui en avait dit Olympe, elle savait quelque chose sur ce lugubre établissement. Non, fit l’autre avec un gros rire, moi malade ? au contraire, mais je suis touchée de la grâce, j’éprouve le besoin d’une retraite et mon directeur me l’ordonne. La jeune mère fit un pas pour se retirer, Olympe ajouta : Y a une crèche près de chez moi, tu pourras y porter la petite ; ça coûte quatre ou six sous par jour. Tiens voilà cinq francs pour commencer. Et comme Angèle faisait des façons : Prends ! prends, dit Olympe : Je vais être logée, nourrie, blanchie, blanchie surtout, aux frais de l’État ; prends sans scrupule, et laisse-moi faire un peu la besogne de la Providence ; tu vois que je m’y entends comme si je n’avais pas fait autre chose de ma vie, ça me portera bonheur. Adieu, v’la la polka des Veaux qui commence son branle-bas. Je m’en sauve J’embrasse pas la petite, pauvre amour ! tu comprends pourquoi !