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LA MISÈRE

319 Attendez-moi une minute, je cours avertir M. le comte et je reviens comme le vent faire un fouga (dans la langue du pays, un feu de joie) pour vous sécher et vous réchauffer tous deux. Vous me pardonnerez, n’est-ce pas, d’aller d’abord porter du feu à ceux qui ont froid au cœur. » — Allez allez, mon brave ami, ils ne sont pas loin, répondit l’étranger en descendant de cheval. « Une demi-heure après, le comte et sa fille, avec la mère Allard rentraient au château. » a L’étranger visitait les ruines. Jean-Louis, avant de le prévenir de l’arrivée de ses maîtres, s’empressa de faire dans l’immense cheminée de la salle à manger un feu des temps anciens. Il prit dans la charrette où l’on avait chargé le mobilier, quelques fauteuils et quelques chaises qu’il disposa devant le foyer. » « Le comte et sa fille, revenus dans la maison qu’ils croyaient avoir abandonnée pour toujours, ne pouvaient proférer une parole. Les grandes émotions, joie ou douleur, sont muettes. M. Paul et Valentine se regardaient, se serraient la main sans proférer un mot, tandis que la mère Allard, remettant toute chose en place, allant et venant par la maison, comme si elle n’était pas trempée jusqu’aux os, ne pouvait se lasser de parler et de s’exclamer. » << Le cœur de Valentine était bouleversé par la oie. » . Elle n’avait pas compris grand’chose à l’explication donnée par Jean-Louis, sinon qu’ils étaient sauvés. » « Un beau jeune homme avait payé leur dette. Là-dessus, ils étaient revenus. >>> « Où était ce sauveur ? Qui était-il ? ce n’était pas Bergonne, assurément, puisque Jean-Louis l’avait trouvé beau. Dailleurs le fils du meunier connaissait le marquis. Ah ! ce sauveur, quel qu’il fût, Valentine lui vouait une reconnaissance éternelle. Il entra. » « C’était un homme de vingt ans. Un long manteau brillant de pluie, négligemment jeté sur les épaules, donnait de l’ampleur au buste et faisait valoir la haute taille de l’étranger. Ses cheveux noirs tombaient en boucles naturelles sur son cou plein de vigueur. Il portait toute sa barbe, déjà épaisse et frisée. Ses yeux d’un bleu noirâtre avaient une grande expression d’intelligence et de fierté. Son nez court, légèrement aplati du bout, indiquait une personnalité. Sur ses lèvres, il y avait le sourire de la bonté. Toute sa personne était empreinte de noblesse. » « D’un coup d’œil, Valentine vit tout cela ; quant à lui, il enveloppa la jeune fille d’un regard d’admiration. >> « Le père et la fille se levèrent pour saluer l’étranger. » «  Monsieur, » lui dit le comte en s’emparant de l’une de ses mains, « j’ignore qui vous êtes, mais le service que vous venez de me rendre vous donne tous les droits à mon affection et à ma reconnaissance. » > « Le jeune homme ouvrait la bouche pour répondre, lorsque Valentine, devenue affreusement pâle, chancela et serait tombée, si son père ne l’eût retenue dans ses bras. >> « La réaction avait été trop forte. On porta la jeune fille dans sa chambre où