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LA MISÈRE

331 «  Eh ! je ne le sais que trop, » fit Artona avec impatience. >> C’est à lui que vous devez d’être devenu un homme supérieur. » « Je sais ce qu’elle m’a valu, cette prétendue supériorité ; de combien d’amertume elle a rempli mon enfance ! » — Ah ! » > (( —> « Quand j’étais dans mon village, j’avais des habits de bure, mais j’étais libre ; je mangeais du pain noir, mais on me le donnait avec les caresses qui sont au cœur ce que la parole est à la pensée, tandis que chez Gustave… » « Il y eut encore un silence. » Artona reprit : « Si le passé fut douloureux, croyez-vous que le présent soit meilleur ? L’étoile de mon enfance, ma pauvre mère, s’est éteinte parce que je l’avais quittée, et l’étoile de ma jeunesse… je dois la chasser de mon ciel. » > « Valentine, effrayée des paroles du secrétaire, essaya de le calmer et d’arrêter des confidences trop directes, en le mettant sur un autre terrain. » « < Tous vos rêves philanthropiques se sont réalisés, » reprit-elle, « < n’est-ce donc rien pour un grand cœur d’être l’âme d’une entreprise humanitaire ? >> « — Oui ! c’est quelque chose, mais ce n’est pas assez. » «  N’est-ce rien, pour un haut esprit, de pouvoir distribuer le pain de l’intelligence à quelques membres de la grande famille vouée à l’ignorance ? N’est-ce rien de faire lever vers le ciel ces fronts jusqu’alors courbés par l’avilissement de l’aumône ? d’être un des porte-lumière de la raison et de la conscience publique

! »

« Vous avez raison et, à défaut de bonheur, la vertu devrait suffire pour nous rendre heureux. » Mais la vertu, c’est le bonheur même. » > «  Le croyez-vous ? » > << Elle ne répondit pas et rougit. Il reprit : < Eh bien ! c’est que la vertu me manque. Je sens en moi je ne sais quoi de sauvage qui gronde. » « Il faut lui imposer silence. » > Imposer silence à un océan d’aspirations furieuses vers un but que je ne puis atteindre et vers lequel je rougirais de faire un pas ? » « Il se tut. La sueur perlait à son front. >> « Valentine ne répondit rien cette fois. Elle avait repris son ouvrage et son aiguille cadençait le point, tandis qu’un volcan intérieur soulevait sa poitrine et faisait osciller son esprit. » Après un quart d’heure de ce silence plein des bruits de l’âme qui se produisent quelquefois après de mutuelles confidences, Artona poursuivit : Vous dites que je suis un homme supérieur ! Erreur, madame ! l’homme ne se complète que par l’amour. Il y a en moi une lacune qui rend nulle la plupart de mes facultés. » “ Expliquez-vous. » Comme vous, j’ai cru que la vertu pouvait remplir les vides que l’affec