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LA MISÈRE

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nait-on, à la fin ? Il en avait assez de cette espèce de mauvaise plaisanterie. Et il priait l’ami de son père de la faire cesser, sans quoi, on allait se fâcher. Alors, M. de Saint-Cyrgue, suffisamment éclairé, se leva et dit au mouchard qu’il allait le faire arrêter pour vol, si à l’instant, il ne dévoilait dans quel but ses associés et lui étaient venus le trouver. Quoique un peu abasourdi par la déclaration si nette de M. de Saint-Cyrgue, Nicolas ne put s’empêcher de rire des dernières paroles du millionnaire. Il répondit : Parbleu ! il faut bien que le diable s’en mêle pour que notre affaire rate si misérablement, car vrai, si vous n’apercevez pas le but que nous visions en venant ici, mes honorables amis et moi, vous ne méritez guère la réputation de finesse dont vous jouissez. Blanche et Hector, la tête basse, semblaient pétrifiés sur leurs fauteuils. C’était fini, tous leurs rêves de fortune s’en allaient en fumée ; leurs châteaux, leurs palais étaient des châteaux, des palais de cartes sur lesquels soufflait l’ignoble mouchard que ces imbéciles de jésuites leur avaient imposé pour complice. En voilà encore des gens dont la réputation était usurpée, pensait Mlle de Méria, tandis que son frère se demandait s’il n’allait pas se jeter sur le vieillard et l’étrangler. Oui, mais il y avait là les domestiques. Sur un signe du maître, ils s’étaient emparés des couteaux de la table. Impossible de rien tenter. Un coup de sonnette pouvait attirer tout l’hôtel et le valet de chambre avait la main sur le cordon. Nicolas, insensible aux angoisses de ses complices, poursuivit de son accent canaille, subitement retrouvé : Le but, cher monsieur de Saint-Cyrgue, se voit comme le nez au visage. Voyez donc ces belles quenottes, si bien aiguisées entre ces lèvres de cerises, est-ce que ce n’est pas fait pour croquer des millions ? Et les mâchoires de M. le comte ! Regardez-moi ça. Quant à moi, eh bien ! vous le voyez, j’exerçais, moyennant un tant pour cent, mes faibles talents pour l’intrigue. Il ajouta qu’il dirait tout, si seulement M. Léon-Paul consentait à se taire au sujet du billet de mille. Le maître d’école déclara s’en rapporter à la sagesse de M. de Saint-Cyrgue. Nicolas voulait faire ses conditions avant de tout révéler. S’il disait les choses franchement, brutalement, sans aucun égard pour ses compères, ne lui arriverait-il véritablement rien de désagréable ? M. de Saint-Cyrgue l’assura qu’il avait tout à gagner à la franchise et tout à perdre à la dissimulation. Cependant, il ne s’engageait à rien et voulait que le pseudo-d’Espaillac se rendit à discrétion. Il menaçait de le faire arrêter, seulement en cas de mensonge. Échapper à l’arrestation, c’était le salut pour Nicolas. Alors le misérable, heureux d’en être quitte pour la honte, jetant ses complices par-dessus bord, dévoila tout le complot avec un cynisme d’expres-