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LA MISÈRE

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Et la comédie de vertu que cette bande de coquins avait jouée pour capter son estime se représentait à lui, et son imagination épouvantée faisait défiler dans toute leur perversion, les odieux personnages de cette terrible pièce montée contre lui. Le vieillard frémissait à la pensée d’ayoiran instant songé à Blanche pour lui léguer sa fortune. Entre les mains de ce monstre d’égoïsme, un tel capital fût devenu un puissant instrument de réaction. « Hélas ! Je ne le sais que trop » se disait M. de Saint-Cyrgue. « Celui qui fait consister le bonheur dans son intérêt personnel, celui-là, s’il est riche, est spontanément conservateur, c’est-à-dire ennemi de tout changement qui pourrait modifier les conditions de son bien-être. » Et il bénissait, dans son cœur, la providence humaine qui lui avait fait rencontrer Léon-Paul. Il se sentait heureux de cette disposition qui le poussait toujours à s’arrêter dans les foules pour en surprendre les aspirations et les sentiments. Cette disposition de bienveillance envers ses semblables le préservait du plus grand des malheurs qui pût lui arriver. Nicolas raconta tout ce qui avait été convenu entre les de Méria et lui ; mais il se garda bien de dire quels avaient été les véritables instigateurs du complot. Il fallait se ménager une retraite en cas de perte d’emploi, et même en cas d’arrestation. Les bons pères étaient puissants et tenaient aux instruments dont ils pouvaient se servir en toute sécurité. Aucun obstacle ne les rebutait pour les retrouver quand ils étaient perdus. 1 Quand le coquin eut fini et que toute honte eut été bue par les trois complices, M. de Saint-Cyrgue ordonna à Nicolas de montrer sa carte. Cette carte, nous l’avons dit, était restée dans la chambre du prétendu vicomte. Un des domestiques alla la chercher. Après quoi, M. de Saint-Cyrgue se fit apporter une feuille de papier timbré et tout ce qu’il faut pour écrire. Puis il dicta à Nicolas la déclaration suivante : « Je soussigné, Nicolas Vavre, agent de la police secrète, demeurant à Paris, « déclare m’être rendu coupable du vol d’un billet de mille francs ; lequel billet « j’ai pris en opérant une arrestation et une perquisition entièrement illégales sur << la personne et dans les objets mobiliers, appartenant à M. Léon-Paul, balayeur « de la ville de Paris, ancien maître d’école, demeurant dans la commune de « Bondy, sur la rive gauche du canal Saint-Martin. « Je déclare, en outre, que j’ai été assisté, dans ces deux crimes, par M. le « comte Hector de Méria qui avait intérêt à voler, au susdit Léon-Paul, un ma<< nuscrit dont il a pu s’emparer. « << En foi de quoi, je donne à M. Léon-Paul la présente déclaration que je si «  gne, volontairement, et devant les témoins qui ont assisté à la découverte du « vol sus-mentionné, et ee, pour s’en servir contre moi, à sa volonté, si je venais « à nuire à qui que ce soit. Ce que je m’engage à ne plus faire, promettant de « rentrer dans le droit chemin autant que cela me sera possible. ▸ Nicolas mit la date et signa.