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LA MISÈRE

413 l’aime malgré ses erreurs. Et si je l’ai suivi dans la voie funeste où nous sommes entrés, c’est lui… C’est pour lui seul… que je… » Elle s’arrêta, suffoquée par l’émotion. Puis, doucement, elle demanda : « Est-ce là la manière d’agir d’une femme sans cœur, et à laquelle seraient étrangers tous les nobles sentiments de l’humanité ? » > Et comme ses deux auditeurs gardaient le silence, elle fit elle-même la réponse : Non ! n’est-ce pas ? Il y avait quelque chose de féminin et de bon en moi. Il y a pour lui, dans mon cœur, de la faiblesse maternelle. Je vous dis ces choses, vous comprenez, monsieur de Saint-Cyrgue, et vous aussi, monsieur Léon-Paul, parce qu’elles doivent atténuer le mépris que vous avez pour moi, et que ce mépris de deux nobles âmes m’est plus amer que le plus amer poison. Les deux hommes ne savaient quelle contenance tenir devant l’explosion de cette douleur, de ce repentir inattendu. La belle éplorée avait repris des couleurs avec le rayon d’espoir qui lui venait des bons yeux de M. de Saint-Cyrgue. Elle recommença. << Vous sembliez regretter tout à l’heure, que je ne fusse pas ce que je désirais paraître à vos yeux. Eh bien ! je ne suis pas tout à fait aussi hypocrite que je vous ai donné le droit de le croire. Expliquez-vous, » dit M. de Saint-Cyrgue, « je ne demanderais pas mieux que de vous rendre mon estime. >> Oh ! c’est tout ce que j’ambitionne, écoutez-moi : « C’est dans mon cœur plus encore que dans mon imagination que j’ai trouvé le sujet et la nuance de la comédie que nous avons jouée tous les trois devant vous. Ces sentiments qui vous avaient surpris et charmés dans le rapport que vous a fait le faux d’Espaillac, ces sentiments, pour être les miens, n’ont manqué que d’une réalité pour les appliquer. p Ha ha ! fit Léon-Paul incrédule. Vous ne me croyez pas, hélas ! Je n’ai pas le droit de m’en plaindre… Mais réfléchissez, monsieur de Saint-Cyrgue, que l’imagination peut-être est un reflet du cœur. C’est possible. La fable inventée par moi serait devenue une vérité, si j’avais rencontré un d’Espaillac de la vieille roche. Je veux bien le croire. A défaut de la réalité, mon cœur s’est repu de l’illusion et mon esprit l’a composée à souhait. Elle attendait l’effet de ses paroles en fixant ses grands yeux de velours d’un noir chatoyant sur les yeux de M. de Saint-Cyrgue. Mais il y avait de la fausseté dans son regard. Je désire pour vous, mademoiselle, que vous puissiez étendre les bénéfices de ce songe vertueux aux moyens coupables que vous avez employés pour