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Page:Michel - La misère.pdf/43

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LA MISÈRE

+43 Avant d’entrer dans la rue Croulebarbe, Jacques y jeta un long coup d’œil, en reconnut toutes les maisons. Rien n’était changé que lui-même. Cela lui fit une impression. Dans les grands bouleversements, qui font tout crouler en lui, l’homme s’étonne toujours que les choses restent stables. Des voix d’enfants, montaient fraîches et joyeuses, par-dessus les murs d’une pension de garçons. Cela attendrit Jacques. C’était là, dans le bon temps, que son petit Auguste allait à l’école. Ce cher enfant ! celui-là du moins, il le retrou-. verait tel qu’il pouvait le souhaiter. S’il fallait en croire les lettres de Magdeleine, ce serait un homme. Oui, un homme courageux et grave, un travailleur instruit comme il les faudrait tous pour faire changer les choses de ce monde. L’oncle et le neveu approchaient du logement occupé par madame Brodard, dans une maison sans concierge. Ils passèrent devant deux gendarmes qui se promenaient de long en large, faisant craquer leurs grosses bottes sur le pavé. Les agents se rangèrent pour faire place aux ouvriers et les suivirent. En touchant le seuil de sa maison, Jacques fut pris d’un tremblement nerveuse C’est à peine s’il pouvait monter l’escalier. Enfin, il voyait sa porte, il voyait l’ombre des deux couloirs entre lesquels elle se trouvait ; il voyait le petit écusson en tôle sur lequel il avait lui-même peint son nom en lettres rouges. Sa femme, ses enfants étaient là, derrière, dans ce grand silence qui l’inquiétait. Le cœur lui battait à rompre. Il toucha le bouton de la serrure. Au même instant, deux larges mains s’abattirent sur ses épaules. Jacques se retourna vivement. Il était entre deux gendarmes. Les autres montaient. L’un de ceux qui l’avaient saisi demanda avec la froide tranquillité de la force sûre d’elle même : Êtes-vous Jacques Brodard ? Oui, répondit le tanneur, qui se croyait dans le monde des rêves. Le gendarme exhiba son mandat et prononça les paroles sacramentelles qui font d’un être libre, une chose appartenant aussi souvent à la vengeance qu’à la justice : « Au nom de la loi, je vous arrête. » ✗ TOUJOURS DANS LA CHAMBRE D’OLYMPE. Angèle, on s’en souvient, épuisée par sa lutte avec l’ivrogne, était tombée elle aussi, à demi-morte de terreur dans un angle du taudis. L’ombre s’épaississait autour de la jeune mère. Oh ! pensait Angèle si c’était seulement l’ombre éternelle ! Que ce serait bon d’être pour toujours endormie avec ma petite Lize dans les bras. Pauvre Lize, on eût dit qu’elle comprenait les angoisses de sa mère. Elle pleurait encore, mais elle ne criait plus.